L'homme n'est plus à présenter aux lecteurs des pages de contribution des journaux sénégalais. Dans le milieu de la presse, auquel il n'appartient pas, Bathie Ngoye Thiam fait référence par la finesse et la rigueur de ses analyses sans compter l'humour décapant qui se dégage de ses textes. Depuis la ville de Rotterdam, en Hollande, où il s'est installé, il y a plus d'une décennie, Bathie Ngoye Thiam suit l'actualité politique et sociale sénégalaise. Derrière ce " contributeur " prolixe et hors pair se cache également un écrivain et un conteur de talent. Trois ouvrages publiés ont permis à cet " Africain authentique " de se faire une place dans le cercle des lettres sénégalaises. Des textes qui interrogent la tradition et le passé pour nous faire découvrir quelques aspects de notre société. Le Témoin s'est essayé à une interview avec l'auteur des ouvrages : " Les nouvelles fantastiques sénégalaises ", " Le Parricide " et " Adina mon amour suivi du Prince artiste ", tous parus aux éditions " L'harmattan ". Une interview réalisée à partir de son pays d'accueil, la Hollande. Bathie Ngoye Thiam à cœur ouvert ou tel quel.
Le Témoin - Qui es-tu, Bathie Ngoye Thiam ?
Je me pose souvent cette question et je n’ai pas encore trouvé de réponse.
Architecte de profession, on te présente comme étant un écrivain, un dramaturge, un conteur, un comédien et un plasticien tout à la fois. Ne penses - tu pas que tu portes là beaucoup de casquettes ?
J’ai un certain nombre de passions, mais je crois qu’elles forment un tout. Je fais ce que j’aime faire sans trop me soucier des qualificatifs, même si je sais qu’on ne peut pas y échapper. Je me laisse emporter par l’inspiration du moment, comme on dit, sans chercher à comprendre ce qui me prend. Et je ne me sens ni joueur ni porteur de rôles puisque je reste la même personne malgré les différents modes d’expressions que j’utilise. Suis-je en quête de moi-même ? Sans doute. Il m’arrive quand même de dire que je suis un artiste.
Tu as écrit dans ton dernier recueil de théâtre cette phrase : " Vivre est un art, soyez donc des créateurs ! » Est-ce ce besoin d’être un créateur qui t’a poussé à devenir écrivain ?
Le mot « créateur » me fait souvent trembler. C’est
un des noms de Dieu, le plus manifeste, il me semble. L’amour aussi peut
faire peur. C’est un autre nom de Dieu, celui que je mettrais en deuxième
position. Il n’y a pas d’art sans amour. L’amour, c’est
la Vérité, un autre nom du Très Haut. Ces deux petites
pièces de théâtre, « Adina, mon amour » et «
Le prince artiste » m’ont donné le courage de voir certaines
réalités en face. D’abord l’amour. J’imagine
qu’au paradis, on n’entend jamais « mon amour », sauf
s’il s’agit de Dieu. Quand « mon amour » désigne
une personne ou une chose, c’est une obsession, une souffrance, une prison
ou une fuite qu’on se force à nommer « bonheur ». Mais
quand on aime la Vie (Dieu), on a la délivrance, la paix. Amour et souffrance
ne vont pas de pair. Pourtant on dit que c’est dans la souffrance que
les artistes sont plus créatifs. Mais dans ces moments-là, l’artiste
ne fait qu’exorciser son mal, transformant ainsi sa souffrance en paix
intérieure. Même si le « message » est violent, voire
haineux, il y a de l’amour entre le peintre et sa toile, l’acteur
et le personnage qu’il incarne, le danseur et la musique qui le fait bouger,
et ainsi de suite. Je ne sais pas si c’est par peur ou par modestie, mais
le mot « créateur » pèse trop lourd sur ma conscience
quand il me désigne. Le Seul Créateur est Dieu. L’artiste
ne crée rien, il découvre, il capte et transcrit. Tout son mérite
est d’être réceptif à l’inspiration qui lui
vient d’il ne sait où. Ce « Prince » qui se dit artiste
raconte pas mal d’histoires. Je partage certaines de ses sentences, mais
il commet la grave erreur de ne pas reconnaître que l’artiste, bien
que « créateur », n’est qu’une créature.
Le jour où j’ai appris que j’étais père d’une
fille, j’ai écrit : « Je n’ai pourtant rien créé,
n’étant que créature, mais j’admire les œuvres
du plus grand des artistes à qui je rends hommage dans tous mes poèmes.
» Je vois tout être vivant comme un « créateur »,
ce qui me fait dire que vivre est un art dont le chef-d’œuvre est
la paix intérieure, la contemplation des œuvres de l’Artiste
Supérieur. Tout est œuvre d’art s’il sort du cœur
qui ne ment jamais.
Pourquoi suis-je devenu écrivain ? Je ne le sais pas. J’écris
depuis tout petit, mais c’est seulement en 2005 que j’ai commencé
à publier.
On écrit comment son premier roman ?
Je ne peux pas répondre pour les autres. En ce qui me concerne, j’avais commencé un premier roman quand j’étais en classe de quatrième. Le titre était « Le fils du forgeron », mais je ne l’ai jamais fini et je l’ai perdu par la suite. Auparavant j’avais écrit un recueil de poèmes, qui était retenu par un éditeur français, mais finalement pas publié, et des pièces de théâtre assez médiocres que je prenais pourtant mon pied à écrire. C’est seulement deux ans plus tard, quand j’étais en classe de seconde, que j’ai écrit « Le parricide ». Tous les soirs, j’écrivais au moins deux pages dans un cahier d’écolier de 200 pages. Et les week-ends, j’allais à Ndeer, un local que nous avions à Pikine Guinaw Rail. On s’y retrouvait entre amis pour partager le thé, discuter, écouter de la musique... Il y avait deux garçons, Seyni Guèye Dioum et Sidi Fall, que nous envoyions faire des courses, allumer le fourneau… Un de mes amis dit qu’ils étaient mes scribes (Rires). Je leur dictais l’histoire au fur et à mesure que je l’imaginais, puis je corrigeais leurs fautes et recopiais les textes dans mon cahier. Ces « dictées » m’ont beaucoup aidé. Par la suite, j’avais transformé ce roman en pièce de théâtre, avant de le reprendre vingt ans plus tard pour lui donner sa forme actuelle.
Après avoir écrit un premier roman, le deuxième paraît plus facile…
Je ne le crois pas. Le contact est certes plus facile avec l’éditeur et les quelques lecteurs qui vous connaissent déjà, mais tout le reste est pareil. Le travail est le même, pour moi en tout cas. J’écris toujours plusieurs textes en même temps. À un moment donné, je me concentre sur un pour le finir. Parfois, je retrouve des textes que j’avais même oubliés. En peinture, c’est pareil ; j’ai souvent des tableaux inachevés qui traînent dans mon atelier pendant des années. Et comme beaucoup de gens, je lis plusieurs livres en même temps. Je ne peux parler de premier et deuxième romans que quand il s’agit des dates de publication. Il y a quelques années de cela, je disais lors d’une interview que j’écrivais des romans jamais finis. Là, je suis en train de fignoler ce qui devrait être mon deuxième roman, mais entre-temps j’en ai fini un autre qui est déjà retenu pour la publication…
Tu vis en Europe, mais on sent au niveau de tes œuvres une forte présence du terroir. N’essaies-tu pas par l’écriture d’exprimer ta nostalgie du terroir ?
Cette nostalgie est surtout présente dans ma peinture et dans mes rêves. Je suis habité par mes souvenirs du pays natal que j’aime à raconter aux jeunes d’aujourd’hui. Plein d’anecdotes à sauvegarder pour les futures générations.
Apparemment, on voit que tu n’as pas subi l’influence de la civilisation occidentale…
Je ne me suis pas « toubabisé », mais j’ai forcément subi des influences. Je suis arrivé adolescent en Europe et je me suis adapté tout en restant moi-même. Cela me fait penser à « L’enracinement et l’ouverture » ou « civilisation de l’universel », comme disait Senghor. Quand on ne triche pas, on s’imprègne naturellement de ce qui est positif chez l’autre et on se débarrasse de ce qui est négatif chez soi. Dans le métissage culturel comme biologique, il y a toujours une dominance d’un côté. Le Sénégalais que je suis reste attaché à son peuple, son pays. Je tiens à ma langue maternelle, la langue étant le cœur d’une culture, même si je n’ai pas souvent l’occasion de la parler. Il y a des gens qui, après quelques années aux Usa, prétendent ne plus parler leur langue maternelle et utilisent des « You know what I mean » à n’en plus finir. Et il y a aussi ceux qui déforment leurs mâchoires et leurs lèvres à force de vouloir rouler les r. Mais ce qui m’afflige le plus est de constater, à chaque fois que je viens au Sénégal, que les plus déracinés ne sont jamais sortis du pays. Il y a beaucoup de familles, surtout à Dakar, où les parents s’adressent en français à leurs enfants, les corrigeant quand ils font des fautes dans cette langue, mais négligent nos langues maternelles, tuant ainsi la moitié de notre culture.
Revenons à ton premier roman, « Le parricide », n’y a-t-il pas une part d’autobiographie dans cette oeuvre ?
Comme Sakhéwar, le personnage principal du livre, j’ai perdu trop tôt ma grand-mère, Mame Marème Touré (Fall dans le texte), que j’adorais. Il y a quelques anecdotes, comme le jour où elle m’avait emmené au dispensaire et qu’ayant peur de la seringue, je cherchai refuge auprès d’elle, mais elle me « trahit » … pour mon bien. (Rires) Il y a aussi les jeux des enfants. Tout le reste est inventé. Ce roman n’est en rien autobiographique.
Toutefois dans ce roman tu sembles être marqué par la domination des Libano-syriens et des Européens sur les Sénégalais.
Dieu merci, les choses commencent à changer, mais il y eut un temps où les Libano-syriens et les Européens dominaient la vie citadine sénégalaise. Je n’ai jamais compris pourquoi l’émigré noir africain galère sans cesse alors que l’immigré Naaru Beyrouth ou Tubaab est un pacha chez nous. Même les commerçants chinois qui viennent d’arriver s’en sortent mieux que les nôtres. J’avais écrit un texte là-dessus disant qu’il nous faut donc chercher le mal en nous-mêmes au lieu de blâmer les autres. Si je devais réécrire « Le parricide », j’aurais provoqué une rencontre entre Sakhéwar et un Blanc. Cette confrontation aurait permis au lecteur de voir que ce garçon n’est ni raciste ni xénophobe. Il en veut juste à ses frères et sœurs qui piétinent leur culture. Les Libanais et les Européens ont gardé leur culture, ce qui n’est que louable, mais parce qu’ils sont financièrement puissants, ils nous l’imposent, même sans en avoir conscience. J’ai passé une partie de mon enfance avec des Libanais qui parlaient le wolof aussi bien que moi. Et je jouais avec ceux de mon âge. Il y avait un remarquable échange culturel. J’adorais leurs fêtes, surtout les mariages quand un cortège de voitures bariolées de foulards blancs parcourait les rues en klaxonnant, leurs bals auxquels mes copains et moi assistions de loin, les 31 décembre quand ils allumaient leurs feux d’artifice. J’aimais aussi leur musique. Nous nous bagarrions presque lorsqu’ils nous donnaient leurs restes de repas, non pas parce que nous avions faim, mais parce que nous découvrions d’autres mets. Mais les rapports n’étaient pas équilibrés. Nous étions leurs boys uniquement parce qu’ils étaient plus nantis que nous. Quand on allait à la chasse, par exemple, ils avaient des jeeps et des fusils et nous, des lance-pierres. Ils nous donnaient des ordres et notre rôle se limitait à ramasser les oiseaux qu’ils abattaient. Nous étions en quelque sorte leurs chiens de chasse. Ils avaient des vélos et des jouets qui nous faisaient rêver. Cela dit, ces Libanais étaient des Sénégalais à part entière. Aussi Sénégalais que Jean-Paul Dias, vous et moi. Par contre, je n’ai jamais rencontré d’Européens aussi intégrés. Ce qui a marqué Sakhéwar lors de ses premiers mois à Dakar est de contacter que les Libano-Syriens et les Européens, de par leur mode de vie, semblaient régner en maîtres sur la capitale. Juste une constatation, rien de méchant.
Ta première œuvre s’inscrit dans un univers fantastique. Quel besoin de s’intéresser au surnaturel alors que l’Afrique connaît des problèmes beaucoup plus brûlants ?
C’est comme si tu me disais « pourquoi se laver alors qu’on a faim ? » Ce n’est pas parce qu’on n’a rien à manger qu’on ne doit pas être propre. N’est-ce pas ? On a besoin des deux. Les petits comme les grands ont besoin de contes, d’histoires fantastiques… Ces histoires font partie de notre patrimoine culturel. C’est une richesse que nous ne devons pas perdre. C’est à nous de la mettre en valeur avant que d’autres ne s’en emparent. Vois par exemple ce qu’on appelle « art nègre », ce sont d’autres qui ont donné une valeur à nos ouvrages. Et presque tous les chefs-d’œuvre sont dans des musées en Europe. De plus, certains toubabs permettent à leurs artistes d’évoluer tout en voulant nous forcer à reproduire ce que faisaient nos ancêtres. Toute culture évolue, mais quand on ne l’entretient pas, on perd ses repères. Ce n’est pas pour rien qu’il y a des ministères de la Culture, même si au Sénégal je me demande souvent à quoi ça sert.
Crois-tu en ce monde de djinns ? As-tu vécu quelques-unes des histoires relatées dans tes nouvelles fantastiques ?
Je ne crois pas aux « deumes » car s’ils existaient, nous
serions tous morts, mais étant musulman, je crois au monde des djinns
tout comme je crois à l’existence des anges. Je n‘en ai pas
encore rencontré cependant… (Rires) Comme c’est écrit
en quatrième de couverture, ces nouvelles sont pour la plupart inspirées
des histoires terrifiantes, mais fascinantes que j’entendais quand j’étais
petit. Les « deumes » qui tendent des pièges, les Saltigués
qui les chassent, les djinns qu’on rencontre la nuit, tout un univers
qu’on n’a pas le droit de laisser s’évaporer dans le
vent de la modernité.
Comme indiqué dans le livre, la nouvelle « Bikira » est une
histoire vraie. Le lecteur s’en rend compte au bout d’un moment.
Pour « Les moldes », j’ai transformé une histoire que
j’avais vécue. Ndiogou Fama a existé, même s’il
ne correspond pas vraiment au personnage des nouvelles.
« On ne dirige pas un pays avec des rêves, des promesses et des projets qui ne voient jamais le jour »
Tu es bien connu des lecteurs sénégalais, puisque tu es un régulier des pages « Contribution » de nos journaux où tu t’exprimes sur des questions qui agitent la vie du pays. Du moment où tu te prononces sur des questions brûlantes de l’actualité, pourquoi alors ne pas écrire des œuvres politiques ?
Je remercie les journaux sénégalais, Wal Fadjri en particulier, qui publient mes contributions. Il m’arrive d’aborder des questions politiques, mais ce n’est pas mon sujet de prédilection. Je jette mon grain de sel de temps en temps parce qu’on le veuille ou non, nous sommes dirigés par des hommes politiques qui peuvent sortir le pays du tunnel ou le plonger dans la misère. Mais ces hommes sont les serviteurs du peuple et non ses maîtres. La royauté, c’est du passé. Chaque Sénégalais, qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur, a donc droit à la parole. Mes contributions sont généralement des réactions par rapport à l’actualité. Je ne suis membre d’aucun parti politique et je n’ai pas l’intention de le devenir, mais je suis toujours du côté de ceux qui défendent les intérêts du peuple. L’idée ne m’est jamais venue d’écrire un ouvrage sur la politique et je n’en sens vraiment pas la nécessité. D’autres le font remarquablement bien. Je me sens à l’aise dans la fiction qui me permet aussi d’aborder d’autres questions bien brûlantes, comme tu dis.
Ce qui ne t’empêche pas d’être assez critique envers le gouvernement sénégalais…
Ah bon ? Je ne l’avais pas remarqué. (Rires)
Bathie Ngoye, un déçu de l’Alternance ?
Je trouve que l’Alternance en elle-même est positive parce qu’elle a permis aux Sénégalais de réaliser qu’un président de la République n’est pas un roi qui reste à vie sur le trône, mais un individu à qui le peuple confie son destin pour une période bien définie. Ce fut comme un miracle pour certains. Par ailleurs, Wade a déçu beaucoup de monde. On ne dirige pas un pays avec des rêves, des promesses et des projets qui ne voient jamais le jour.
Wade a de bonnes idées et les exprime, mais leur concrétisation trébuche. Et puis, il y a des priorités. Les « grands chantiers », c’est bien beau, mais pas quand le peuple croupit dans le dénuement et n’a même pas accès aux soins médicaux qui devraient être à sa portée. Assurer une vie décente à tout citoyen doit être le principal dessein de tout homme politique. Mais certains dirigeants tombent très vite dans une mégalomanie pharaonienne qui les éloigne de leur mission. Ils se croient alors tout permis, s’accrochent au pouvoir et finissent dictateurs. Je ne sais plus qui disait que les Africains ne sont pas encore mûrs pour la démocratie, mais les faits semblent lui donner raison... Mobutu avait ruiné le Zaïre avec ses « grands chantiers ». Encore une fois, il y a des priorités. Wade a fait des promesses, le peuple y a cru et l’a élu. Maintenant, beaucoup n’attendent plus rien de l’Alternance. On entend parler de milliards de francs à longueur de journée alors que beaucoup de gens qui croyaient à l’Alternance ont de plus en plus de mal à s’assurer un repas correct. Il y a donc de la déception dans l’air…
La société sénégalaise n’échappe pas non plus à tes critiques…
Il n’y a qu’à lire les faits divers pour constater à quel point cette société est malade. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la bergère. Un peuple, dit-on, n’a que les dirigeants qu’il mérite. Si nous voulons évoluer, il faut tout d’abord un changement radical des mentalités.
C’est quoi l’engagement pour Bathie Ngoye ?
Le mot " engagement " est tellement galvaudé de nos jours qu'on ne sait plus ce qu'il signifie. On en est pratiquement arrivé à penser qu'il n'y a d'engagement que politique. Je crois qu'on est engagé quand on exprime ce qu'on pense ou ce qu'on ressent. Et l'artiste ne fait que ça. Il y a mille et une manières de défendre une cause. Le plasticien qui ne peint que des fleurs combat, à sa manière, toute l'horreur qu'il y a autour de nous en disant : " Regardez, la beauté aussi existe. "
Te considères -tu pour autant comme un écrivain engagé ?
La dernière fois que cette question m’a été posée, c’était lors d’une soirée littéraire à Paris. J’avais répondu que si je me sens engagé, c’est culturellement.
Les Neas avaient annoncé la sortie d’un de tes romans sous ses presses. Qu’en est-il de cette production littéraire, y aurait- il un problème qui retarde la sortie de ce livre ?
En effet, les NEAS ont retenu depuis 2003 un de mes romans pour le publier. Il figurait même dans leur catalogue 2004. Mais il n’est toujours pas sorti. J’attends encore le BAT. Par ailleurs, le même ouvrage faisait partie de ceux que la Direction du Livre et de la Lecture avait sélectionnés pour en assurer financièrement la publication, une aide à l’auteur et à l’éditeur. Je croyais que cela devait aller plus vite, mais c’est le contraire qui s’est produit. Pourquoi ? Allez donc savoir.
Est-il alors plus facile de se faire éditer en Europe qu’en Afrique ?
Les éditeurs européens ont plus de moyens et cela se voit. En Europe, l'éditeur qui signe un contrat avec un auteur sort généralement le bouquin dans les trois mois qui suivent. Avec les NEAS, j'attends depuis trois ans. Pour ce qui est des comités de lecture, je crois qu'ils se valent. C'est juste le choix des manuscrits qui fait la différence. Certains éditeurs sont plus exigeants que d'autres.
Un mot sur ce roman, ça parle de quoi ?
C'est la vie d'un artiste sénégalais en Europe, mais l'émigration n'en est pas le thème principal. C'est plutôt sa galère que j'y décris, ses rapports avec son entourage. En gros, c'est une partie de l'Europe vue de l'intérieur, par un immigré… J'en dirai plus le moment venu, inch'Allah.
Et quel regard portes-tu sur la vie littéraire au Sénégal ?
Qui dit livre, dit écrire, éditer, lire. Ce ne sont pas les auteurs qui font défaut et il y en a de très bons. Les gens ne cessent d'écrire. La publication, par contre, est boiteuse. Si la plus grande maison d'édition met des années pour sortir un livre, que penser des autres ? Vient ensuite la diffusion. Pour lire un livre, il faut d'abord le trouver. Nos principales librairies sont à Dakar or le Sénégal n'est seulement Dakar. Et dans ces librairies, il n'y a pas toujours les ouvrages que l'on cherche ou sur lesquels on aimerait tomber par hasard. Les livres ne se vendant pas, les libraires ne prennent pas certains risques. Il faudrait une grande bibliothèque municipale dans chaque région. Une bibliothèque n'est certes pas aussi glamour qu'un aéroport ni aussi vitale qu'un dispensaire, mais n'en demeure pas moins nécessaire. Sous Senghor, la culture était vivante même si les cinéastes étaient parfois soumis à la censure. L'auteur a besoin du lecteur et vice-versa. C'est au ministère de la Culture de construire le pont qui les lie. Lire n'est pas ancré dans nos traditions et les gens ne vont pas acheter des livres alors qu'ils ont d'autres besoins. Une bibliothèque, une salle de cinéma, de concerts ou de théâtre, une galerie, un musée, etc. sont des équipements indispensables à la bonne santé culturelle d'un pays. Il y a certes quelques manifestations littéraires de temps en temps, mais elles se tiennent le plus souvent dans des cercles restreints. C'est du moins ce qu'il me semble car, n'étant pas sur place, il m'est impossible de savoir exactement ce qu'il en est. Me Wade a le projet de faire construire un grand " théâtre ". C'est une formidable idée, mais il faudrait d'abord aider l'art à survivre pour y entrer quand il sera prêt. C'est comme si on disait qu'une grande salle de cinéma sera construite dans cinq ans. Que deviendraient les cinéastes en attendant ? C'est mieux de commencer par construire de petites salles partout dans le pays. On ne peut pas aller dans un bled paumé et dire aux habitants : " Nous allons dépenser tant de milliards pour construire une bibliothèque ici ", alors que les femmes y meurent en accouchant, faute de soins. Non, il suffit juste, dans un premier temps, de créer un local où ils pourront emprunter des livres. " La " case des tout-petits " a, disons-le, fait un grand pas dans ce sens ; donc c'est réalisable. J'adore lire mes compatriotes, mais ce n'est pas toujours facile de trouver leurs ouvrages.
Y a - t- il cependant un écrivain qui te sert de référence ?
Bon Dieu ! Si je m'amusais à les citer, j'en aurais sans doute pour quelques heures. J'aime lire et je lis tout ce qui me tombe sous la main. Et tous les auteurs que j'ai lus m'ont marqué d'une manière ou d'une autre, des classiques français à la nouvelle génération africaine. Si un jour je me construis une maison, il y aura forcément une bibliothèque avec des centaines et des centaines de livres.
Comment parviens-tu à concilier ton métier d'architecte et ta vie d'artiste ? L'architecte serait-il un artiste qui s'ignore ?
Je n'ai pas encore fait grand-chose en architecture. En vérité, je n'en ai ni le temps ni l'envie, mais je compte m'y remettre un jour, inch'Allah. J'étais assez doué dans les matières scientifiques, mais l'art a toujours été ma passion. J'ai choisi ce métier parce que j'y voyais le juste milieu entre l'art et les sciences.
L'homme n'est plus à présenter aux lecteurs des pages de contribution des journaux sénégalais. Dans le milieu de la presse, auquel il n'appartient pas, Bathie Ngoye Thiam fait référence par la finesse et la rigueur de ses analyses sans compter l'humour décapant qui se dégage de ses textes. Depuis la ville de Rotterdam, en Hollande, où il s'est installé, il y a plus d'une décennie, Bathie Ngoye Thiam suit l'actualité politique et sociale sénégalaise. Derrière ce " contributeur " prolixe et hors pair se cache également un écrivain et un conteur de talent. Trois ouvrages publiés ont permis à cet " Africain authentique " de se faire une place dans le cercle des lettres sénégalaises. Des textes qui interrogent la tradition et le passé pour nous faire découvrir quelques aspects de notre société. Le Témoin s'est essayé à une interview avec l'auteur des ouvrages : " Les nouvelles fantastiques sénégalaises ", " Le Parricide " et " Adina mon amour suivi du Prince artiste ", tous parus aux éditions " L'harmattan ". Une interview réalisée à partir de son pays d'accueil, la Hollande. Bathie Ngoye Thiam à cœur ouvert ou tel quel.
Le Témoin - Qui es-tu, Bathie Ngoye Thiam ?
Je me pose souvent cette question et je n’ai pas encore trouvé de réponse.
Architecte de profession, on te présente comme étant un écrivain, un dramaturge, un conteur, un comédien et un plasticien tout à la fois. Ne penses - tu pas que tu portes là beaucoup de casquettes ?
J’ai un certain nombre de passions, mais je crois qu’elles forment un tout. Je fais ce que j’aime faire sans trop me soucier des qualificatifs, même si je sais qu’on ne peut pas y échapper. Je me laisse emporter par l’inspiration du moment, comme on dit, sans chercher à comprendre ce qui me prend. Et je ne me sens ni joueur ni porteur de rôles puisque je reste la même personne malgré les différents modes d’expressions que j’utilise. Suis-je en quête de moi-même ? Sans doute. Il m’arrive quand même de dire que je suis un artiste.
Tu as écrit dans ton dernier recueil de théâtre cette phrase : " Vivre est un art, soyez donc des créateurs ! » Est-ce ce besoin d’être un créateur qui t’a poussé à devenir écrivain ?
Le mot « créateur » me fait souvent trembler. C’est
un des noms de Dieu, le plus manifeste, il me semble. L’amour aussi peut
faire peur. C’est un autre nom de Dieu, celui que je mettrais en deuxième
position. Il n’y a pas d’art sans amour. L’amour, c’est
la Vérité, un autre nom du Très Haut. Ces deux petites
pièces de théâtre, « Adina, mon amour » et «
Le prince artiste » m’ont donné le courage de voir certaines
réalités en face. D’abord l’amour. J’imagine
qu’au paradis, on n’entend jamais « mon amour », sauf
s’il s’agit de Dieu. Quand « mon amour » désigne
une personne ou une chose, c’est une obsession, une souffrance, une prison
ou une fuite qu’on se force à nommer « bonheur ». Mais
quand on aime la Vie (Dieu), on a la délivrance, la paix. Amour et souffrance
ne vont pas de pair. Pourtant on dit que c’est dans la souffrance que
les artistes sont plus créatifs. Mais dans ces moments-là, l’artiste
ne fait qu’exorciser son mal, transformant ainsi sa souffrance en paix
intérieure. Même si le « message » est violent, voire
haineux, il y a de l’amour entre le peintre et sa toile, l’acteur
et le personnage qu’il incarne, le danseur et la musique qui le fait bouger,
et ainsi de suite. Je ne sais pas si c’est par peur ou par modestie, mais
le mot « créateur » pèse trop lourd sur ma conscience
quand il me désigne. Le Seul Créateur est Dieu. L’artiste
ne crée rien, il découvre, il capte et transcrit. Tout son mérite
est d’être réceptif à l’inspiration qui lui
vient d’il ne sait où. Ce « Prince » qui se dit artiste
raconte pas mal d’histoires. Je partage certaines de ses sentences, mais
il commet la grave erreur de ne pas reconnaître que l’artiste, bien
que « créateur », n’est qu’une créature.
Le jour où j’ai appris que j’étais père d’une
fille, j’ai écrit : « Je n’ai pourtant rien créé,
n’étant que créature, mais j’admire les œuvres
du plus grand des artistes à qui je rends hommage dans tous mes poèmes.
» Je vois tout être vivant comme un « créateur »,
ce qui me fait dire que vivre est un art dont le chef-d’œuvre est
la paix intérieure, la contemplation des œuvres de l’Artiste
Supérieur. Tout est œuvre d’art s’il sort du cœur
qui ne ment jamais.
Pourquoi suis-je devenu écrivain ? Je ne le sais pas. J’écris
depuis tout petit, mais c’est seulement en 2005 que j’ai commencé
à publier.
On écrit comment son premier roman ?
Je ne peux pas répondre pour les autres. En ce qui me concerne, j’avais commencé un premier roman quand j’étais en classe de quatrième. Le titre était « Le fils du forgeron », mais je ne l’ai jamais fini et je l’ai perdu par la suite. Auparavant j’avais écrit un recueil de poèmes, qui était retenu par un éditeur français, mais finalement pas publié, et des pièces de théâtre assez médiocres que je prenais pourtant mon pied à écrire. C’est seulement deux ans plus tard, quand j’étais en classe de seconde, que j’ai écrit « Le parricide ». Tous les soirs, j’écrivais au moins deux pages dans un cahier d’écolier de 200 pages. Et les week-ends, j’allais à Ndeer, un local que nous avions à Pikine Guinaw Rail. On s’y retrouvait entre amis pour partager le thé, discuter, écouter de la musique... Il y avait deux garçons, Seyni Guèye Dioum et Sidi Fall, que nous envoyions faire des courses, allumer le fourneau… Un de mes amis dit qu’ils étaient mes scribes (Rires). Je leur dictais l’histoire au fur et à mesure que je l’imaginais, puis je corrigeais leurs fautes et recopiais les textes dans mon cahier. Ces « dictées » m’ont beaucoup aidé. Par la suite, j’avais transformé ce roman en pièce de théâtre, avant de le reprendre vingt ans plus tard pour lui donner sa forme actuelle.
Après avoir écrit un premier roman, le deuxième paraît plus facile…
Je ne le crois pas. Le contact est certes plus facile avec l’éditeur et les quelques lecteurs qui vous connaissent déjà, mais tout le reste est pareil. Le travail est le même, pour moi en tout cas. J’écris toujours plusieurs textes en même temps. À un moment donné, je me concentre sur un pour le finir. Parfois, je retrouve des textes que j’avais même oubliés. En peinture, c’est pareil ; j’ai souvent des tableaux inachevés qui traînent dans mon atelier pendant des années. Et comme beaucoup de gens, je lis plusieurs livres en même temps. Je ne peux parler de premier et deuxième romans que quand il s’agit des dates de publication. Il y a quelques années de cela, je disais lors d’une interview que j’écrivais des romans jamais finis. Là, je suis en train de fignoler ce qui devrait être mon deuxième roman, mais entre-temps j’en ai fini un autre qui est déjà retenu pour la publication…
Tu vis en Europe, mais on sent au niveau de tes œuvres une forte présence du terroir. N’essaies-tu pas par l’écriture d’exprimer ta nostalgie du terroir ?
Cette nostalgie est surtout présente dans ma peinture et dans mes rêves. Je suis habité par mes souvenirs du pays natal que j’aime à raconter aux jeunes d’aujourd’hui. Plein d’anecdotes à sauvegarder pour les futures générations.
Apparemment, on voit que tu n’as pas subi l’influence de la civilisation occidentale…
Je ne me suis pas « toubabisé », mais j’ai forcément subi des influences. Je suis arrivé adolescent en Europe et je me suis adapté tout en restant moi-même. Cela me fait penser à « L’enracinement et l’ouverture » ou « civilisation de l’universel », comme disait Senghor. Quand on ne triche pas, on s’imprègne naturellement de ce qui est positif chez l’autre et on se débarrasse de ce qui est négatif chez soi. Dans le métissage culturel comme biologique, il y a toujours une dominance d’un côté. Le Sénégalais que je suis reste attaché à son peuple, son pays. Je tiens à ma langue maternelle, la langue étant le cœur d’une culture, même si je n’ai pas souvent l’occasion de la parler. Il y a des gens qui, après quelques années aux Usa, prétendent ne plus parler leur langue maternelle et utilisent des « You know what I mean » à n’en plus finir. Et il y a aussi ceux qui déforment leurs mâchoires et leurs lèvres à force de vouloir rouler les r. Mais ce qui m’afflige le plus est de constater, à chaque fois que je viens au Sénégal, que les plus déracinés ne sont jamais sortis du pays. Il y a beaucoup de familles, surtout à Dakar, où les parents s’adressent en français à leurs enfants, les corrigeant quand ils font des fautes dans cette langue, mais négligent nos langues maternelles, tuant ainsi la moitié de notre culture.
Revenons à ton premier roman, « Le parricide », n’y a-t-il pas une part d’autobiographie dans cette oeuvre ?
Comme Sakhéwar, le personnage principal du livre, j’ai perdu trop tôt ma grand-mère, Mame Marème Touré (Fall dans le texte), que j’adorais. Il y a quelques anecdotes, comme le jour où elle m’avait emmené au dispensaire et qu’ayant peur de la seringue, je cherchai refuge auprès d’elle, mais elle me « trahit » … pour mon bien. (Rires) Il y a aussi les jeux des enfants. Tout le reste est inventé. Ce roman n’est en rien autobiographique.
Toutefois dans ce roman tu sembles être marqué par la domination des Libano-syriens et des Européens sur les Sénégalais.
Dieu merci, les choses commencent à changer, mais il y eut un temps où les Libano-syriens et les Européens dominaient la vie citadine sénégalaise. Je n’ai jamais compris pourquoi l’émigré noir africain galère sans cesse alors que l’immigré Naaru Beyrouth ou Tubaab est un pacha chez nous. Même les commerçants chinois qui viennent d’arriver s’en sortent mieux que les nôtres. J’avais écrit un texte là-dessus disant qu’il nous faut donc chercher le mal en nous-mêmes au lieu de blâmer les autres. Si je devais réécrire « Le parricide », j’aurais provoqué une rencontre entre Sakhéwar et un Blanc. Cette confrontation aurait permis au lecteur de voir que ce garçon n’est ni raciste ni xénophobe. Il en veut juste à ses frères et sœurs qui piétinent leur culture. Les Libanais et les Européens ont gardé leur culture, ce qui n’est que louable, mais parce qu’ils sont financièrement puissants, ils nous l’imposent, même sans en avoir conscience. J’ai passé une partie de mon enfance avec des Libanais qui parlaient le wolof aussi bien que moi. Et je jouais avec ceux de mon âge. Il y avait un remarquable échange culturel. J’adorais leurs fêtes, surtout les mariages quand un cortège de voitures bariolées de foulards blancs parcourait les rues en klaxonnant, leurs bals auxquels mes copains et moi assistions de loin, les 31 décembre quand ils allumaient leurs feux d’artifice. J’aimais aussi leur musique. Nous nous bagarrions presque lorsqu’ils nous donnaient leurs restes de repas, non pas parce que nous avions faim, mais parce que nous découvrions d’autres mets. Mais les rapports n’étaient pas équilibrés. Nous étions leurs boys uniquement parce qu’ils étaient plus nantis que nous. Quand on allait à la chasse, par exemple, ils avaient des jeeps et des fusils et nous, des lance-pierres. Ils nous donnaient des ordres et notre rôle se limitait à ramasser les oiseaux qu’ils abattaient. Nous étions en quelque sorte leurs chiens de chasse. Ils avaient des vélos et des jouets qui nous faisaient rêver. Cela dit, ces Libanais étaient des Sénégalais à part entière. Aussi Sénégalais que Jean-Paul Dias, vous et moi. Par contre, je n’ai jamais rencontré d’Européens aussi intégrés. Ce qui a marqué Sakhéwar lors de ses premiers mois à Dakar est de contacter que les Libano-Syriens et les Européens, de par leur mode de vie, semblaient régner en maîtres sur la capitale. Juste une constatation, rien de méchant.
Ta première œuvre s’inscrit dans un univers fantastique. Quel besoin de s’intéresser au surnaturel alors que l’Afrique connaît des problèmes beaucoup plus brûlants ?
C’est comme si tu me disais « pourquoi se laver alors qu’on a faim ? » Ce n’est pas parce qu’on n’a rien à manger qu’on ne doit pas être propre. N’est-ce pas ? On a besoin des deux. Les petits comme les grands ont besoin de contes, d’histoires fantastiques… Ces histoires font partie de notre patrimoine culturel. C’est une richesse que nous ne devons pas perdre. C’est à nous de la mettre en valeur avant que d’autres ne s’en emparent. Vois par exemple ce qu’on appelle « art nègre », ce sont d’autres qui ont donné une valeur à nos ouvrages. Et presque tous les chefs-d’œuvre sont dans des musées en Europe. De plus, certains toubabs permettent à leurs artistes d’évoluer tout en voulant nous forcer à reproduire ce que faisaient nos ancêtres. Toute culture évolue, mais quand on ne l’entretient pas, on perd ses repères. Ce n’est pas pour rien qu’il y a des ministères de la Culture, même si au Sénégal je me demande souvent à quoi ça sert.
Crois-tu en ce monde de djinns ? As-tu vécu quelques-unes des histoires relatées dans tes nouvelles fantastiques ?
Je ne crois pas aux « deumes » car s’ils existaient, nous
serions tous morts, mais étant musulman, je crois au monde des djinns
tout comme je crois à l’existence des anges. Je n‘en ai pas
encore rencontré cependant… (Rires) Comme c’est écrit
en quatrième de couverture, ces nouvelles sont pour la plupart inspirées
des histoires terrifiantes, mais fascinantes que j’entendais quand j’étais
petit. Les « deumes » qui tendent des pièges, les Saltigués
qui les chassent, les djinns qu’on rencontre la nuit, tout un univers
qu’on n’a pas le droit de laisser s’évaporer dans le
vent de la modernité.
Comme indiqué dans le livre, la nouvelle « Bikira » est une
histoire vraie. Le lecteur s’en rend compte au bout d’un moment.
Pour « Les moldes », j’ai transformé une histoire que
j’avais vécue. Ndiogou Fama a existé, même s’il
ne correspond pas vraiment au personnage des nouvelles.
« On ne dirige pas un pays avec des rêves, des promesses et des projets qui ne voient jamais le jour »
Tu es bien connu des lecteurs sénégalais, puisque tu es un régulier des pages « Contribution » de nos journaux où tu t’exprimes sur des questions qui agitent la vie du pays. Du moment où tu te prononces sur des questions brûlantes de l’actualité, pourquoi alors ne pas écrire des œuvres politiques ?
Je remercie les journaux sénégalais, Wal Fadjri en particulier, qui publient mes contributions. Il m’arrive d’aborder des questions politiques, mais ce n’est pas mon sujet de prédilection. Je jette mon grain de sel de temps en temps parce qu’on le veuille ou non, nous sommes dirigés par des hommes politiques qui peuvent sortir le pays du tunnel ou le plonger dans la misère. Mais ces hommes sont les serviteurs du peuple et non ses maîtres. La royauté, c’est du passé. Chaque Sénégalais, qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur, a donc droit à la parole. Mes contributions sont généralement des réactions par rapport à l’actualité. Je ne suis membre d’aucun parti politique et je n’ai pas l’intention de le devenir, mais je suis toujours du côté de ceux qui défendent les intérêts du peuple. L’idée ne m’est jamais venue d’écrire un ouvrage sur la politique et je n’en sens vraiment pas la nécessité. D’autres le font remarquablement bien. Je me sens à l’aise dans la fiction qui me permet aussi d’aborder d’autres questions bien brûlantes, comme tu dis.
Ce qui ne t’empêche pas d’être assez critique envers le gouvernement sénégalais…
Ah bon ? Je ne l’avais pas remarqué. (Rires)
Bathie Ngoye, un déçu de l’Alternance ?
Je trouve que l’Alternance en elle-même est positive parce qu’elle a permis aux Sénégalais de réaliser qu’un président de la République n’est pas un roi qui reste à vie sur le trône, mais un individu à qui le peuple confie son destin pour une période bien définie. Ce fut comme un miracle pour certains. Par ailleurs, Wade a déçu beaucoup de monde. On ne dirige pas un pays avec des rêves, des promesses et des projets qui ne voient jamais le jour.
Wade a de bonnes idées et les exprime, mais leur concrétisation trébuche. Et puis, il y a des priorités. Les « grands chantiers », c’est bien beau, mais pas quand le peuple croupit dans le dénuement et n’a même pas accès aux soins médicaux qui devraient être à sa portée. Assurer une vie décente à tout citoyen doit être le principal dessein de tout homme politique. Mais certains dirigeants tombent très vite dans une mégalomanie pharaonienne qui les éloigne de leur mission. Ils se croient alors tout permis, s’accrochent au pouvoir et finissent dictateurs. Je ne sais plus qui disait que les Africains ne sont pas encore mûrs pour la démocratie, mais les faits semblent lui donner raison... Mobutu avait ruiné le Zaïre avec ses « grands chantiers ». Encore une fois, il y a des priorités. Wade a fait des promesses, le peuple y a cru et l’a élu. Maintenant, beaucoup n’attendent plus rien de l’Alternance. On entend parler de milliards de francs à longueur de journée alors que beaucoup de gens qui croyaient à l’Alternance ont de plus en plus de mal à s’assurer un repas correct. Il y a donc de la déception dans l’air…
La société sénégalaise n’échappe pas non plus à tes critiques…
Il n’y a qu’à lire les faits divers pour constater à quel point cette société est malade. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la bergère. Un peuple, dit-on, n’a que les dirigeants qu’il mérite. Si nous voulons évoluer, il faut tout d’abord un changement radical des mentalités.
C’est quoi l’engagement pour Bathie Ngoye ?
Le mot " engagement " est tellement galvaudé de nos jours qu'on ne sait plus ce qu'il signifie. On en est pratiquement arrivé à penser qu'il n'y a d'engagement que politique. Je crois qu'on est engagé quand on exprime ce qu'on pense ou ce qu'on ressent. Et l'artiste ne fait que ça. Il y a mille et une manières de défendre une cause. Le plasticien qui ne peint que des fleurs combat, à sa manière, toute l'horreur qu'il y a autour de nous en disant : " Regardez, la beauté aussi existe. "
Te considères -tu pour autant comme un écrivain engagé ?
La dernière fois que cette question m’a été posée, c’était lors d’une soirée littéraire à Paris. J’avais répondu que si je me sens engagé, c’est culturellement.
Les Neas avaient annoncé la sortie d’un de tes romans sous ses presses. Qu’en est-il de cette production littéraire, y aurait- il un problème qui retarde la sortie de ce livre ?
En effet, les NEAS ont retenu depuis 2003 un de mes romans pour le publier. Il figurait même dans leur catalogue 2004. Mais il n’est toujours pas sorti. J’attends encore le BAT. Par ailleurs, le même ouvrage faisait partie de ceux que la Direction du Livre et de la Lecture avait sélectionnés pour en assurer financièrement la publication, une aide à l’auteur et à l’éditeur. Je croyais que cela devait aller plus vite, mais c’est le contraire qui s’est produit. Pourquoi ? Allez donc savoir.
Est-il alors plus facile de se faire éditer en Europe qu’en Afrique ?
Les éditeurs européens ont plus de moyens et cela se voit. En Europe, l'éditeur qui signe un contrat avec un auteur sort généralement le bouquin dans les trois mois qui suivent. Avec les NEAS, j'attends depuis trois ans. Pour ce qui est des comités de lecture, je crois qu'ils se valent. C'est juste le choix des manuscrits qui fait la différence. Certains éditeurs sont plus exigeants que d'autres.
Un mot sur ce roman, ça parle de quoi ?
C'est la vie d'un artiste sénégalais en Europe, mais l'émigration n'en est pas le thème principal. C'est plutôt sa galère que j'y décris, ses rapports avec son entourage. En gros, c'est une partie de l'Europe vue de l'intérieur, par un immigré… J'en dirai plus le moment venu, inch'Allah.
Et quel regard portes-tu sur la vie littéraire au Sénégal ?
Qui dit livre, dit écrire, éditer, lire. Ce ne sont pas les auteurs qui font défaut et il y en a de très bons. Les gens ne cessent d'écrire. La publication, par contre, est boiteuse. Si la plus grande maison d'édition met des années pour sortir un livre, que penser des autres ? Vient ensuite la diffusion. Pour lire un livre, il faut d'abord le trouver. Nos principales librairies sont à Dakar or le Sénégal n'est seulement Dakar. Et dans ces librairies, il n'y a pas toujours les ouvrages que l'on cherche ou sur lesquels on aimerait tomber par hasard. Les livres ne se vendant pas, les libraires ne prennent pas certains risques. Il faudrait une grande bibliothèque municipale dans chaque région. Une bibliothèque n'est certes pas aussi glamour qu'un aéroport ni aussi vitale qu'un dispensaire, mais n'en demeure pas moins nécessaire. Sous Senghor, la culture était vivante même si les cinéastes étaient parfois soumis à la censure. L'auteur a besoin du lecteur et vice-versa. C'est au ministère de la Culture de construire le pont qui les lie. Lire n'est pas ancré dans nos traditions et les gens ne vont pas acheter des livres alors qu'ils ont d'autres besoins. Une bibliothèque, une salle de cinéma, de concerts ou de théâtre, une galerie, un musée, etc. sont des équipements indispensables à la bonne santé culturelle d'un pays. Il y a certes quelques manifestations littéraires de temps en temps, mais elles se tiennent le plus souvent dans des cercles restreints. C'est du moins ce qu'il me semble car, n'étant pas sur place, il m'est impossible de savoir exactement ce qu'il en est. Me Wade a le projet de faire construire un grand " théâtre ". C'est une formidable idée, mais il faudrait d'abord aider l'art à survivre pour y entrer quand il sera prêt. C'est comme si on disait qu'une grande salle de cinéma sera construite dans cinq ans. Que deviendraient les cinéastes en attendant ? C'est mieux de commencer par construire de petites salles partout dans le pays. On ne peut pas aller dans un bled paumé et dire aux habitants : " Nous allons dépenser tant de milliards pour construire une bibliothèque ici ", alors que les femmes y meurent en accouchant, faute de soins. Non, il suffit juste, dans un premier temps, de créer un local où ils pourront emprunter des livres. " La " case des tout-petits " a, disons-le, fait un grand pas dans ce sens ; donc c'est réalisable. J'adore lire mes compatriotes, mais ce n'est pas toujours facile de trouver leurs ouvrages.
Y a - t- il cependant un écrivain qui te sert de référence ?
Bon Dieu ! Si je m'amusais à les citer, j'en aurais sans doute pour quelques heures. J'aime lire et je lis tout ce qui me tombe sous la main. Et tous les auteurs que j'ai lus m'ont marqué d'une manière ou d'une autre, des classiques français à la nouvelle génération africaine. Si un jour je me construis une maison, il y aura forcément une bibliothèque avec des centaines et des centaines de livres.
Comment parviens-tu à concilier ton métier d'architecte et ta vie d'artiste ? L'architecte serait-il un artiste qui s'ignore ?
Je n'ai pas encore fait grand-chose en architecture. En vérité, je n'en ai ni le temps ni l'envie, mais je compte m'y remettre un jour, inch'Allah. J'étais assez doué dans les matières scientifiques, mais l'art a toujours été ma passion. J'ai choisi ce métier parce que j'y voyais le juste milieu entre l'art et les sciences.