THIAM, BATHIE NGOYE. Le Parricide.
Paris. L’Harmattan, 2005. ISBN : 2-7475-8546-8
Pp. 200. 17,50 €
Le roman s’articule autour de Sakhéwar (le protagoniste), Maam Marème (sa grand-mère), Dibor (sa mère) et Birima (son père). Issu d’une relation interethnique hors mariage, Sakhéwar a été élevé par sa grand-tante (qu’il appelle, selon la coutume, grand-mère), une femme stérile dont les vertus étaient reconnues de tous. Malgré sa stérilité, elle est morte heureuse, digne et respectée. Le fait qu’elle soit morte paisiblement pendant qu’elle jeûnait illustre le caractère exceptionnel de cette femme. Pour beaucoup de Sénégalais, seuls « les amis de Dieu » meurent de cette façon. Cette croyance est symbolisée par la phrase wolof « Yalla nañu Yalla may mujj gu rafet » (littéralement : « Que Dieu nous offre une belle fin ») qui figure souvent dans les prières des Sénégalais.
Thiam aborde les tabous qui persistent dans le monde rural vis-à-vis des relations amoureuses interethniques à travers Dibor et Birima dont le « crime » est d’avoir eu un enfant hors mariage. L’auteur contraste la décision des patriarches (le père de Dibor et celui de Birima) qui bannissent leurs propres enfants afin de sauvegarder l’honneur de leurs familles à l’attitude des mères qui continuent d’avoir beaucoup de sympathie et d’amour pour leurs enfants. Ce fait social est assez courant au Sénégal. A travers Sakhéwar et son père Birima, l’auteur examine également le problème de l’identité. Birima représente l’illettré rural qui se rend à Dakar (la grande ville) pour y travailler dans des conditions humiliantes chez un Français afin de nourrir sa famille. L’humiliation dont il est victime pose bien le problème du complexe d’infériorité issu de la colonisation que beaucoup de Sénégalais ruraux éprouvent. L’auteur utilise donc le personnage de Birima pour montrer que les séquelles de la colonisation restent ancrées dans certaines mentalités.
Le personnage de Sakhéwar est opposé à celui de son père Birima. Élevé au village de Kouré, Sakhéwar y fréquente l’école primaire, où il passe ses meilleurs moments. Plus tard, il quitte le village pour se rendre à Dakar afin de poursuivre ses études. Après son arrivée dans la capitale, les illusions qu’il avait à propos de la ville se dissipent. Confronté à la dégradation des mœurs, à l’humiliation de son père, Sakhéwar se rebelle contre la société sénégalaise postcoloniale et tout ce qui représente l’Occident. Ainsi, il décide de devenir « un fier Africain »(131) qui refuse « d’être complice » (149) de l’assimilation culturelle occidentale. Il choisit, par exemple, de se vêtir de haillons plutôt que de porter des vêtements européens. Ces problèmes finissent par le rendre fou. Pour retrouver l’Afrique pure et idyllique de ses rêves, il retourne donc à Kouré. Une fois arrivé, il se rend compte que l’influence occidentale n’a pas épargné son village. Finalement, il participe tragiquement (avec son grand-père paternel) au meurtre de son père.
Ce roman soulève plusieurs questions : les valeurs authentiques sénégalaises peuvent-elles survivre à l’assimilation culturelle occidentale ? Quel remède pour le complexe d’infériorité vis-à-vis de l’Occident qui gangrène la société ? Peut-on légiférer les relations amoureuses interethniques ? L’auteur pousse ainsi le lecteur à repenser les effets culturels, sociaux et mentaux de la colonisation.
On trouve dans ce roman de nombreux « sénégalismes » : « yamba » (chanvre indien), « xeesal » (produit utilisé pour la dépigmentation), « fëgg jaay » (vêtements européens d’occasion vendus dans les marchés) et « visiter quelqu’un ». Ce sont là des aspects du français sénégalais qui sont naturellement colorés par le wolof. La richesse linguistique, la diversité des thèmes discutés et leur importance font de cette œuvre un travail à lire pour tous ceux qui s’intéressent à la société sénégalaise postcoloniale.
Comme l’indique le nom de l’auteur – Bathie (d’origine wolof), Ngoye (d’origine sérère) et Thiam (nom de famille wolof) - il est lui-même probablement issu d’une famille interethnique. Sa connaissance des cultures sérère et wolof, sa maîtrise du français métropolitain aussi bien que sénégalais font de ce roman une œuvre littéraire sénégalaise exceptionnelle qui marquera sans doute les lecteurs.
Western Washington University
Fallou Ngom.
THIAM, BATHIE NGOYE. Le Parricide.
Paris. L’Harmattan, 2005. ISBN : 2-7475-8546-8
Pp. 200. 17,50 €
Le roman s’articule autour de Sakhéwar (le protagoniste), Maam Marème (sa grand-mère), Dibor (sa mère) et Birima (son père). Issu d’une relation interethnique hors mariage, Sakhéwar a été élevé par sa grand-tante (qu’il appelle, selon la coutume, grand-mère), une femme stérile dont les vertus étaient reconnues de tous. Malgré sa stérilité, elle est morte heureuse, digne et respectée. Le fait qu’elle soit morte paisiblement pendant qu’elle jeûnait illustre le caractère exceptionnel de cette femme. Pour beaucoup de Sénégalais, seuls « les amis de Dieu » meurent de cette façon. Cette croyance est symbolisée par la phrase wolof « Yalla nañu Yalla may mujj gu rafet » (littéralement : « Que Dieu nous offre une belle fin ») qui figure souvent dans les prières des Sénégalais.
Thiam aborde les tabous qui persistent dans le monde rural vis-à-vis des relations amoureuses interethniques à travers Dibor et Birima dont le « crime » est d’avoir eu un enfant hors mariage. L’auteur contraste la décision des patriarches (le père de Dibor et celui de Birima) qui bannissent leurs propres enfants afin de sauvegarder l’honneur de leurs familles à l’attitude des mères qui continuent d’avoir beaucoup de sympathie et d’amour pour leurs enfants. Ce fait social est assez courant au Sénégal. A travers Sakhéwar et son père Birima, l’auteur examine également le problème de l’identité. Birima représente l’illettré rural qui se rend à Dakar (la grande ville) pour y travailler dans des conditions humiliantes chez un Français afin de nourrir sa famille. L’humiliation dont il est victime pose bien le problème du complexe d’infériorité issu de la colonisation que beaucoup de Sénégalais ruraux éprouvent. L’auteur utilise donc le personnage de Birima pour montrer que les séquelles de la colonisation restent ancrées dans certaines mentalités.
Le personnage de Sakhéwar est opposé à celui de son père Birima. Élevé au village de Kouré, Sakhéwar y fréquente l’école primaire, où il passe ses meilleurs moments. Plus tard, il quitte le village pour se rendre à Dakar afin de poursuivre ses études. Après son arrivée dans la capitale, les illusions qu’il avait à propos de la ville se dissipent. Confronté à la dégradation des mœurs, à l’humiliation de son père, Sakhéwar se rebelle contre la société sénégalaise postcoloniale et tout ce qui représente l’Occident. Ainsi, il décide de devenir « un fier Africain »(131) qui refuse « d’être complice » (149) de l’assimilation culturelle occidentale. Il choisit, par exemple, de se vêtir de haillons plutôt que de porter des vêtements européens. Ces problèmes finissent par le rendre fou. Pour retrouver l’Afrique pure et idyllique de ses rêves, il retourne donc à Kouré. Une fois arrivé, il se rend compte que l’influence occidentale n’a pas épargné son village. Finalement, il participe tragiquement (avec son grand-père paternel) au meurtre de son père.
Ce roman soulève plusieurs questions : les valeurs authentiques sénégalaises peuvent-elles survivre à l’assimilation culturelle occidentale ? Quel remède pour le complexe d’infériorité vis-à-vis de l’Occident qui gangrène la société ? Peut-on légiférer les relations amoureuses interethniques ? L’auteur pousse ainsi le lecteur à repenser les effets culturels, sociaux et mentaux de la colonisation.
On trouve dans ce roman de nombreux « sénégalismes » : « yamba » (chanvre indien), « xeesal » (produit utilisé pour la dépigmentation), « fëgg jaay » (vêtements européens d’occasion vendus dans les marchés) et « visiter quelqu’un ». Ce sont là des aspects du français sénégalais qui sont naturellement colorés par le wolof. La richesse linguistique, la diversité des thèmes discutés et leur importance font de cette œuvre un travail à lire pour tous ceux qui s’intéressent à la société sénégalaise postcoloniale.
Comme l’indique le nom de l’auteur – Bathie (d’origine wolof), Ngoye (d’origine sérère) et Thiam (nom de famille wolof) - il est lui-même probablement issu d’une famille interethnique. Sa connaissance des cultures sérère et wolof, sa maîtrise du français métropolitain aussi bien que sénégalais font de ce roman une œuvre littéraire sénégalaise exceptionnelle qui marquera sans doute les lecteurs.
Western Washington University
Fallou Ngom.