Bathie Ngoye Thiam: littérature contributions peintures presse photos livre d'or liens contact
( LE SOLEIL 23 MAI 2006 )

A livre ouvert…
- BATHIE NGOYE THIAM, « Le parricide », Paris : l’Harmattan, 2005, 200 p. :

Le Baol entre tradition et modernité

“ Vas-tu à l’école ou apprends-tu un métier ? ” A la question du grand-père, Sakhéwar Diouf ne se fait pas prier pour asséner : “ j’apprends à être vrai avec moi-même ”. Il aurait pu ajouter sa profession de foi après avoir quitté les bancs de l’école. “ J’ai entrepris de redevenir un authentique Africain ”.

Le héros du Parricide de Bathie Ngoye Thiam, auteur également des Nouvelles fantastiques sénégalaises, perdu entre deux mondes, se trouve résolu et déterminé à assumer son héritage. Un héritage qu’il veut entier, africain, profond et réel. Loin d’une modernité qui lui échappe, qui transforme son monde, ses convictions, ses aspirations.

Sakhéwar Diouf n’a pu s’adapter à la vie citadine. Lui, qui a toujours vécu au village, est dépassé par le rythme trépignant de la vie urbaine. Plutôt des nouveaux us et coutumes des citadins qui n’ont plus gardé d’attaches avec ce qui a toujours fondé le quotidien africain dénaturé désormais par les vestiges de la colonisation, plus précisément par l’école.

Le bouleversement est plus que total chez le jeune homme. Et les effluves de quelques joints de l’ “ herbe qui tue ” ne l’aident pas à comprendre et à s’adapter à la nouvelle donne. Mais à lui brouiller la situation. Pourtant on n’en est qu’aux débuts des Indépendances, mais le mal est plus que fait chez Sakhéwar Diouf, qui ne comprend pas que son modèle, son propre père Birima, puisse, pour le bénéfice de quelques avantages matériels, accepter également de courber l’échine chez ses maîtres blancs. Ici, le terme blanc n’est point applicable à la couleur de l’épiderme. Mais bien sûr aux “ assimilés, ceux qui se disent civilisés, ceux qui imitent les Européens ”. Sakhéwar a d’ailleurs compris qu’ “ on dit qu’en Europe, c’est le chacun pour soi ”, mais veut bien et est plus en phase avec “ l’Africain, le vrai, est toujours hospitalier et généreux ”. Mais il doit admettre que “ de nos jours, cet esprit communautaire tend à disparaître ”.

Le seul recours pour le jeune homme perdu dans les méandres de la vie à l’occidentale restait de retourner aux sources. Au village. Loin du père et de la mère, qui avaient déjà commencé à prendre goût au luxe et aux sensations de la ville.

Seulement, là également, il découvre que les “ garçons portaient des pantalons s’arrêtant à la hauteur de leurs mollets et des vestes démodées, rapiécées par endroits. Ils avaient, pour la plupart, des cravates étrangement nouées autour de leurs cous. Leurs savates avachies soulevaient la poussière qui les enveloppait. Les filles avaient des robes importées qui avaient appartenu à des Européennes, et que l’on achetait à vil prix aux marchés des villes. Elles avaient des colliers de perles et plusieurs bracelets autour des poignets. Ils dansaient au son d’une musique émise par un transistor, se livrant à diverses fantaisies fort obscènes. Ils étaient contaminés par les citadins ”. Le spectacle, apprécié derrière une palissade, au baptême d’un ami d’enfance pas encore gagné par l’exode rural, se révèle une “ honte, une indignation, une désillusion ”.

L’hospitalité et la chaleur humaine, toujours prodiguée par la défunte arrière grand-mère Maam Marème, sont retrouvées chez les grands parents qui avaient pourtant banni le père Birima victime de ses amours de jeunesse. Et nombre d’Africains pourraient se retrouver dans son assertion “ A qui n’a pas eu de grand-mère, il a manqué un quart de sa famille ”.

Et c’est dans la case du patriarche qui l’a recueilli que Sakhéwar commet son forfait. Le père plus que téméraire, venu accompagné de notables présenter ses excuses et quémander le pardon d’un père presque mourant, fera les frais de son fils Sakhéwar qui ne le reconnaissait plus pour père. Le coup du grand-père Thiéyacine sera achevé par le petit-fils Sakhéwar qui n’hésite pas à frayer un chemin au poignard au fond des viscères. Le “ Parricide ” venait de s’opérer. Plutôt dans la tête du jeune homme qui a construit, bâti un récit à son goût. Un récit qu’il voudrait réel tellement il en voulait à son monde. Habité d’une certaine folie qui fonde son discernement de la métamorphose qui habite désormais les Africains, Sakhéwar a bien choisi son interlocuteur qui, pendant tout le récit, semble être la risée du bonhomme qui l’assimile aux “ Blancs”.

Émouvante, triste, profonde… est l’œuvre de Bathie Ngoye Thiam qui a choisi de restituer son Baol d’enfance malgré plusieurs années passées en Occident. Cet architecte de formation, non moins artiste peintre, revisite la vie villageoise et replonge le lecteur nostalgique dans certaines traditions devenues obsolètes et balayées par les vagues de la modernité. Le style est simple et la lecture agréable et facile. L’ouvrage est émaillé d’anecdotes et d’humour. A lire absolument et surtout à recommander à nombre de jeunes qui n’ont pas connu cette Afrique autre. Celle d’une hiérarchie bien établie et des conventions sociales. Bathie Ngoye Thiam signe, avec son Parricide, une entrée dans le cercle des écrivains.


Par Ibrahima Khalilou NDIAYE


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( LE SOLEIL 23 MAI 2006 )

A livre ouvert…
- BATHIE NGOYE THIAM, « Le parricide », Paris : l’Harmattan, 2005, 200 p. :

Le Baol entre tradition et modernité

“ Vas-tu à l’école ou apprends-tu un métier ? ” A la question du grand-père, Sakhéwar Diouf ne se fait pas prier pour asséner : “ j’apprends à être vrai avec moi-même ”. Il aurait pu ajouter sa profession de foi après avoir quitté les bancs de l’école. “ J’ai entrepris de redevenir un authentique Africain ”.

Le héros du Parricide de Bathie Ngoye Thiam, auteur également des Nouvelles fantastiques sénégalaises, perdu entre deux mondes, se trouve résolu et déterminé à assumer son héritage. Un héritage qu’il veut entier, africain, profond et réel. Loin d’une modernité qui lui échappe, qui transforme son monde, ses convictions, ses aspirations.

Sakhéwar Diouf n’a pu s’adapter à la vie citadine. Lui, qui a toujours vécu au village, est dépassé par le rythme trépignant de la vie urbaine. Plutôt des nouveaux us et coutumes des citadins qui n’ont plus gardé d’attaches avec ce qui a toujours fondé le quotidien africain dénaturé désormais par les vestiges de la colonisation, plus précisément par l’école.

Le bouleversement est plus que total chez le jeune homme. Et les effluves de quelques joints de l’ “ herbe qui tue ” ne l’aident pas à comprendre et à s’adapter à la nouvelle donne. Mais à lui brouiller la situation. Pourtant on n’en est qu’aux débuts des Indépendances, mais le mal est plus que fait chez Sakhéwar Diouf, qui ne comprend pas que son modèle, son propre père Birima, puisse, pour le bénéfice de quelques avantages matériels, accepter également de courber l’échine chez ses maîtres blancs. Ici, le terme blanc n’est point applicable à la couleur de l’épiderme. Mais bien sûr aux “ assimilés, ceux qui se disent civilisés, ceux qui imitent les Européens ”. Sakhéwar a d’ailleurs compris qu’ “ on dit qu’en Europe, c’est le chacun pour soi ”, mais veut bien et est plus en phase avec “ l’Africain, le vrai, est toujours hospitalier et généreux ”. Mais il doit admettre que “ de nos jours, cet esprit communautaire tend à disparaître ”.

Le seul recours pour le jeune homme perdu dans les méandres de la vie à l’occidentale restait de retourner aux sources. Au village. Loin du père et de la mère, qui avaient déjà commencé à prendre goût au luxe et aux sensations de la ville.

Seulement, là également, il découvre que les “ garçons portaient des pantalons s’arrêtant à la hauteur de leurs mollets et des vestes démodées, rapiécées par endroits. Ils avaient, pour la plupart, des cravates étrangement nouées autour de leurs cous. Leurs savates avachies soulevaient la poussière qui les enveloppait. Les filles avaient des robes importées qui avaient appartenu à des Européennes, et que l’on achetait à vil prix aux marchés des villes. Elles avaient des colliers de perles et plusieurs bracelets autour des poignets. Ils dansaient au son d’une musique émise par un transistor, se livrant à diverses fantaisies fort obscènes. Ils étaient contaminés par les citadins ”. Le spectacle, apprécié derrière une palissade, au baptême d’un ami d’enfance pas encore gagné par l’exode rural, se révèle une “ honte, une indignation, une désillusion ”.

L’hospitalité et la chaleur humaine, toujours prodiguée par la défunte arrière grand-mère Maam Marème, sont retrouvées chez les grands parents qui avaient pourtant banni le père Birima victime de ses amours de jeunesse. Et nombre d’Africains pourraient se retrouver dans son assertion “ A qui n’a pas eu de grand-mère, il a manqué un quart de sa famille ”.

Et c’est dans la case du patriarche qui l’a recueilli que Sakhéwar commet son forfait. Le père plus que téméraire, venu accompagné de notables présenter ses excuses et quémander le pardon d’un père presque mourant, fera les frais de son fils Sakhéwar qui ne le reconnaissait plus pour père. Le coup du grand-père Thiéyacine sera achevé par le petit-fils Sakhéwar qui n’hésite pas à frayer un chemin au poignard au fond des viscères. Le “ Parricide ” venait de s’opérer. Plutôt dans la tête du jeune homme qui a construit, bâti un récit à son goût. Un récit qu’il voudrait réel tellement il en voulait à son monde. Habité d’une certaine folie qui fonde son discernement de la métamorphose qui habite désormais les Africains, Sakhéwar a bien choisi son interlocuteur qui, pendant tout le récit, semble être la risée du bonhomme qui l’assimile aux “ Blancs”.

Émouvante, triste, profonde… est l’œuvre de Bathie Ngoye Thiam qui a choisi de restituer son Baol d’enfance malgré plusieurs années passées en Occident. Cet architecte de formation, non moins artiste peintre, revisite la vie villageoise et replonge le lecteur nostalgique dans certaines traditions devenues obsolètes et balayées par les vagues de la modernité. Le style est simple et la lecture agréable et facile. L’ouvrage est émaillé d’anecdotes et d’humour. A lire absolument et surtout à recommander à nombre de jeunes qui n’ont pas connu cette Afrique autre. Celle d’une hiérarchie bien établie et des conventions sociales. Bathie Ngoye Thiam signe, avec son Parricide, une entrée dans le cercle des écrivains.


Par Ibrahima Khalilou NDIAYE


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