Le Parricide, de Bathie Ngoye Thiam
Par Emmanuelle Moysan
Retour aux sources
E. Moysan
publié le 30/03/2006
Dans son premier roman le Parricide, Bathie Ngoye Thiam brouille les pistes
de la parole à travers le témoignage d’un jeune adolescent
arrivant essoufflé dans la maison du narrateur auquel il va se confier.
« Nous sommes au début des années 70, un adolescent vient
taper à ma porte, tard dans la nuit pour me dire : J’ai tué
quelqu’un – Il s’assoit par terre, dans le salon et me raconte
son histoire. Je mets un magnétophone en marche pour enregistrer sa confession.
»
Construction atypique : les narrations vont s’enchevêtrer emprisonnant
le lecteur dans une mise en abyme ; il y a là le narrateur qui enregistre
les révélations du jeune homme, l’histoire que nous conte
le jeune Sakéwhar à travers ses souvenirs d’enfance auprès
de Maam Marème (la grand-mère de tous qui l’a élevé),
ses chansons, ses contes et enfin les histoires qui hantent l’esprit du
jeune homme. La frontière entre réalité et fabulation s’avère
dès lors difficile à définir.
Le roman entraîne le lecteur dans un double mouvement ; l’ascension
du jeune Sakewhar rythmée par la description très précise
de l’enfance africaine en brousse à Kouré, à quelques
kilomètres de Diourbel - univers « idéal » «
rêvé » dans lequel il grandit - ponctuée par les rites
initiatiques, les jeux au marigot, l’initiation à la chasse, à
la lutte, au rythme des saisons, avec la découverte de l’école
et enfin de la ville. C’est le parcours « classique », lumineusement
décrit, du jeune africain (on peut penser à l’Enfant noir
de Camara Laye) dans son avidité de connaître.
A une première phase « euphorique » fait suite une phase
descendante avec une cassure dans son itinéraire : la révolte,
la quête identitaire jusqu’au retour à l’état
originel.
Cette cassure est provoquée par la découverte de la faiblesse
du chef de famille, celle du père humilié. La sanction inévitable,
en adéquation avec la tradition, n’est-ce pas le parricide ?
Dès lors le monde colonial tel une obsession s’insinue dans toutes
les visions du jeune homme, les femmes qui se décolorent la peau, l’attitude
de certains noirs « indignes » parce qu’ayant le cœur
et l’esprit d’un Blanc. C’est la revendication identitaire
le souci de devenir un authentique Africain.
« Je résolus à partir de ce moment de redevenir un authentique
Africain, fier et digne »
Par là même, le narrateur met en lumière l’inadaptation
entre tradition et modernité (la folie est la révélation,
le symptôme de ce décalage).
Le récit de l’adolescent est une confession modifiée par
la prise de conscience dans son absolu de questions existentielles. La réalité
devient autre. Quelle est elle ? De quelle authenticité parle-t-on ?
La seule réalité qui semble subsister est incarnée par
le personnage emblématique de Maam Marème à laquelle toute
la première partie est consacrée A l’instar du jeune Sakéwhar,
nous demeurons bercés par les chansons, les contes des djinns de Maam
Marème qui se déploient dans une phrase toute en murmures. Elle
incarne en quelque sorte le guide spirituel et renvoie à des temps immémoriaux.
« A Diourbel, dans certains endroits, on parle encore de Maam Marème,
la femme qui avait retroussé son pagne pour bâtir sa maison. On
en parle comme d’une reine à qui il n’avait manqué
qu’une noblesse acquise de naissance. Il y a dans le bas peuple, des héros
dont les exploits ne sont pas chantés par les griots, mais qui restent,
à jamais, gravés dans les mémoires. »
Un roman envoûtant.
E. Moysan
Le Parricide de Bathie Ngoye Thiam
Editions de l’Harmattan, Paris, 2005
Le Parricide, de Bathie Ngoye Thiam
Par Emmanuelle Moysan
Retour aux sources
E. Moysan
publié le 30/03/2006
Dans son premier roman le Parricide, Bathie Ngoye Thiam brouille les pistes
de la parole à travers le témoignage d’un jeune adolescent
arrivant essoufflé dans la maison du narrateur auquel il va se confier.
« Nous sommes au début des années 70, un adolescent vient
taper à ma porte, tard dans la nuit pour me dire : J’ai tué
quelqu’un – Il s’assoit par terre, dans le salon et me raconte
son histoire. Je mets un magnétophone en marche pour enregistrer sa confession.
»
Construction atypique : les narrations vont s’enchevêtrer emprisonnant
le lecteur dans une mise en abyme ; il y a là le narrateur qui enregistre
les révélations du jeune homme, l’histoire que nous conte
le jeune Sakéwhar à travers ses souvenirs d’enfance auprès
de Maam Marème (la grand-mère de tous qui l’a élevé),
ses chansons, ses contes et enfin les histoires qui hantent l’esprit du
jeune homme. La frontière entre réalité et fabulation s’avère
dès lors difficile à définir.
Le roman entraîne le lecteur dans un double mouvement ; l’ascension
du jeune Sakewhar rythmée par la description très précise
de l’enfance africaine en brousse à Kouré, à quelques
kilomètres de Diourbel - univers « idéal » «
rêvé » dans lequel il grandit - ponctuée par les rites
initiatiques, les jeux au marigot, l’initiation à la chasse, à
la lutte, au rythme des saisons, avec la découverte de l’école
et enfin de la ville. C’est le parcours « classique », lumineusement
décrit, du jeune africain (on peut penser à l’Enfant noir
de Camara Laye) dans son avidité de connaître.
A une première phase « euphorique » fait suite une phase
descendante avec une cassure dans son itinéraire : la révolte,
la quête identitaire jusqu’au retour à l’état
originel.
Cette cassure est provoquée par la découverte de la faiblesse
du chef de famille, celle du père humilié. La sanction inévitable,
en adéquation avec la tradition, n’est-ce pas le parricide ?
Dès lors le monde colonial tel une obsession s’insinue dans toutes
les visions du jeune homme, les femmes qui se décolorent la peau, l’attitude
de certains noirs « indignes » parce qu’ayant le cœur
et l’esprit d’un Blanc. C’est la revendication identitaire
le souci de devenir un authentique Africain.
« Je résolus à partir de ce moment de redevenir un authentique
Africain, fier et digne »
Par là même, le narrateur met en lumière l’inadaptation
entre tradition et modernité (la folie est la révélation,
le symptôme de ce décalage).
Le récit de l’adolescent est une confession modifiée par
la prise de conscience dans son absolu de questions existentielles. La réalité
devient autre. Quelle est elle ? De quelle authenticité parle-t-on ?
La seule réalité qui semble subsister est incarnée par
le personnage emblématique de Maam Marème à laquelle toute
la première partie est consacrée A l’instar du jeune Sakéwhar,
nous demeurons bercés par les chansons, les contes des djinns de Maam
Marème qui se déploient dans une phrase toute en murmures. Elle
incarne en quelque sorte le guide spirituel et renvoie à des temps immémoriaux.
« A Diourbel, dans certains endroits, on parle encore de Maam Marème,
la femme qui avait retroussé son pagne pour bâtir sa maison. On
en parle comme d’une reine à qui il n’avait manqué
qu’une noblesse acquise de naissance. Il y a dans le bas peuple, des héros
dont les exploits ne sont pas chantés par les griots, mais qui restent,
à jamais, gravés dans les mémoires. »
Un roman envoûtant.
E. Moysan
Le Parricide de Bathie Ngoye Thiam
Editions de l’Harmattan, Paris, 2005