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LA NOUVELLE CAPITALE EST BEL ET BIEN LARGUEE AUX OUBLIETTES

(Wal Fadjri, 25-09-2006)

Il y a de cela quelques semaines, Walf titrait, en parlant de la nouvelle capitale : « Les chantiers de l'Anoci ont-ils fait oublier ce projet de Me Wade ? » Et, comme l’on pouvait s’y attendre, une réponse est sortie des alentours du palais. Il fallait bien réagir car « le vieux » apprécie que les siens prennent sa défense, même si c’est pour clamer le contraire des évidences. On nous avait bien cassé les oreilles avec cette nouvelle capitale, mais force est de constater que depuis que le Prince Karim a commencé à mettre Dakar sens dessus dessous, on n’en entend plus parler. Il a fallu cet article dans Walf pour relancer le « projet ». Wade en personne est monté au créneau pour déclarer que le site prévu sera transféré sur dix kilomètres. Et il précise qu’il va s’inspirer du modèle de Putrajay, l’actuelle capitale administrative de la Malaisie qui a été créée « sans que le gouvernement ne verse de l’argent. » Cela nous rappelle la réfection de l’avion présidentielle qui ne devrait pas coûter un sou au contribuable. On connaît la suite.

D’après Walf, le sommet de l’Oci était prévu à Lompoul, mais « les bailleurs de fonds arabes n'ont pas voulu se lancer dans l'érection d'une nouvelle capitale qui s'avère onéreuse. » Qu’en est-il au juste ? Le peuple a le droit de savoir.
Dakar est saturé, nul n’en disconvient. Actuellement, c’est une ville en chantier. Des ponts sont cassés, des routes coupées… Le fils du président, qui gère des milliards à n’en plus finir, va nous offrir, je cite, « la plus belle corniche d’Afrique » et par la même occasion, il rendra la circulation plus fluide pour un temps qui ne sera hélas pas long. Dans trois ou quatre ans, la mobilité dans la ville sera pire qu’aujourd’hui malgré tous ces grands travaux qui incommodent les habitants. Voyons ! Tout en nous disant que Dakar est surpeuplé, ils font tout pour y attirer plus d’habitants. Comment peut-on parler d’une nouvelle capitale quand tous les projets sont pour Dakar ? C’est creuser d’une main et enterrer de l’autre. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire.
Wade veut un Monument de la Renaissance Africaine qui sera un pôle d’attraction touristique. Il attirera par conséquent beaucoup de Sénégalais que le tourisme aide à survivre. Où ? A Dakar. Il veut faire construire un grand théâtre. On s’imagine que ce sera dans la nouvelle capitale. Mais non, ce sera Le Grand Théâtre National de Dakar. On parle de la Tour Khadafi, complexe Khadafi ou tout ce qu’on veut, c’est encore pour Dakar. La grande mosquée de Wade est aussi pour Dakar. Les exemples ne manquent pas, mais ne serait-ce qu’avec ceci on est bien obligé de dire que la deuxième capitale est oubliée, comme tant d’autres projets de Buur Sénégal. Qui parle encore du plan « Yakkal ma », du train à grand écartement, du tramway, du tunnel pour allier la Casamance, du sable du désert mauritanien, du plan Oméga que le Nepad a entraîné dans son échec, et j’en passe ? La logique dicterait que tout nouveau projet ou rêve du roi soit destiné à la deuxième capitale.

Lompoul nous étant imposé, nous devons faire avec, mais comme bon nombre de Sénégalais, je pense qu’il serait mieux de choisir une capitale régionale déjà existante, comme Diourbel, Kaolack, Tamba ou Ziguinchor, et de faciliter la circulation des personnes et des biens entre les régions. Il est vital de développer les autres régions pour ne pas obliger les populations à migrer vers Dakar. Wade avait la bonne idée de se servir des fêtes de l’indépendance pour aider d’autres villes. Après Thiès, on nous avait désigné Fatick. Qui a entendu parler de chantiers de Fatick ? Maintenant, c’est « Diourbel 2007 » et déjà 2,5 millions de francs seraient détournés. On ira loin comme ça. C’est bien beau d’avoir des idées, mais c’est avec du concret et de la bonne gouvernance qu’un pays avance
Pendant que les citoyens et l’économie souffrent cruellement des délestages de la Senelec, Me Wade nous annonce qu’il veut faire du Sénégal le premier exportateur de pétrole. Je suppose qu’il voulait dire « premier importateur de bougies » vu qu’il a déclaré que cela ne le dérangerait pas de voir les Sénégalais s’éclairer à la bougie. Mais comme il n’était même pas au courant des coupures de courant, on peut le comprendre. Le Président et son peuple ne sont apparemment pas sur la même planète.

En 2000, les jeunes, dont une partie brave aujourd’hui la mort pour sortir du pays, avaient massivement voté pour celui qui leur avait promis du travail. De la génération « sopi » ils sont entrés dans la génération « Barsa ou barsaq ». Maintenant ce couronné leur promet le plus « grand théâtre d’Afrique » et la plus belle capitale d’Afrique, son fils, « la plus belle corniche d’Afrique », ce qui leur ferait une belle jambe. On s’attendait plutôt à les entendre parler du taux de chômage le plus bas d’Afrique ou de la meilleure couverture médicale d’Afrique, etc. Il y a des urgences. Mais « ils » avancent fièrement que les chantiers de l’alternance sont « les travaux les plus pharaoniques de l’histoire de notre pays. » Vive donc pharaon ! Le président Abdoulaye Wade abonde dans ce sens en déclarant que « ce qui reste dans le temps, dans l’histoire, ce sont les grandes œuvres qui doivent être suffisamment belles et solides pour résister à l’érosion du temps. » Au lieu de se mettre à la remorque de Ramsès II, il devrait regarder plus près de nous. Bouna Ndiaye n’est pas resté dans l’histoire pour avoir construit des pyramides, mais pour avoir donné à boire à son peuple qui avait soif. A méditer. Il y a des priorités.
Un deuxième aéroport n’est pas une priorité, mais si l’on y tient absolument, il serait mieux en Casamance ou au Sénégal oriental, deux régions complètement déconnectées du reste du pays. Je pencherais pour Ziguinchor, en attendant le tunnel promis. Mais non, il sera à Diass, à 80 kilomètres de la nouvelle capitale dont la conception est confiée à un architecte français. A se demander s’il y a des architectes sénégalais, des urbanistes et autres. Ou faut-il qu’ils soient d’abord des conseillers du Président pour que des projets leur soient confiés ? Des Chinois construiront le Grand Théâtre national de Dakar, des Coréens le Monument de la Renaissance Africaine, un Français la nouvelle capitale. Mais que voulez-vous ? Wade semble se prendre pour le seul Sénégalais doté d’une matière grise. Il nous a clairement dit qu’il n’y a aucun d’entre nous qui soit capable de le remplacer. De plus, quand il a visité les quelques maisons du plan Jaxaay enfin réalisées, il s’est étonné de constater que des Sénégalais pouvaient exécuter un tel travail. Il s’attendait sans doute à voir des poulaillers. Et avec ça, il ose demander aux cadres de revenir au bercail.

Pincez-moi, j’hallucine. Olivier Clément Cacoub, puisque c’est de lui qu’il s’agit, serait l’architecte des présidents-rois africains, comme Ahidjo, Eyadéma, Bongo, Mobutu, Biya. Il aurait à son actif le palais de Gbadolite - surnommé « le Versailles africain » - de Mobutu, le centre culturel français de Brazzaville, et aurait eu en charge la construction de la résidence privée de Paul Biya au Carrefour Golf à Yaoundé. Il fera de Lompoul une ville moderne tout en lui donnant un côté africain, dit-on. Permettez-moi d’être sceptique. Je vois mal un pygmée concevoir une ville pour des Vietnamiens ou des esquimaux, même s’il est « prix Nobel d’architecture ».
On se demande alors si Wade ne délire pas à cause de son âge avancé. Et c’est au ministre Lamine Ba de nous apprendre que Wade est à la fleur de l’âge, qu’il travaille et que le peuple en redemande. Tant mieux alors. Le problème est qu’il lui faudrait rester au pouvoir pendant au moins 50 ans pour réaliser ses projets. Et là encore. Il a tous les jours de nouveaux projets qui font oublier les précédents. Jeanne d’Arc entendait des voix, Wade a des visions. Il paraît qu’une idée lui vient à l’esprit au milieu de la nuit, il la note et dit le matin à un gendarme : « Va remettre ceci à tel ministre. » Seulement rien n’obligera les futurs dirigeants à exécuter les projets du « visionnaire » et beaucoup d’argent serait alors gaspillé dans des études et des maquettes pour rien.

Pourquoi ne commence-t-on pas les travaux dans la deuxième capitale ? On peut bien y construire des hôtels cinq étoiles pour l’Oci, des salles de conférences et tout ce qu’ils veulent, en commençant par une « première pierre » et des routes qui y mènent. Même le toboggan pour voitures de l’avenue Malick Sy y aurait bien sa place.
Houphouët avait Yamoussokro, Wade veut Lompoul - à défaut de Kébemer. Houphouët avait sa basilique, Wade veut sa mosquée. Etranges coïncidences, n’est-ce pas ? Mais ne dit-on pas que les grands esprits se rencontrent ? Prions quand même pour que l’après Wade ne soit pas comme l’après Houphouët.

Bathie Ngoye Thiam



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