(Wal Fadjri, 16 septembre 2004)
Où est le problème ? Nos ministres ont enfin la chance d’obtenir
des salaires à la hauteur de leurs fonctions et cela semble choquer
une couche de la population.
Voilà ce qu’on dit des Sénégalais ! Pour une fois
que des salaires sont augmentés, ils se mettent à rouspéter
au lieu d’applaudir. Est-ce de la jalousie ou ne comprennent-ils pas
les pénibles conditions dans lesquels vivent nos ministres, gouverneurs,
préfets, sous-préfets et consorts ? Les pauvres ministres sont
obligés d’avoir des voitures de service, avec des chauffeurs
et j’en passe – ne parlons pas de luxe, leur travail l’exige.
Ils sont obligés d’avoir des bureaux climatisés, des villas
et que sais-je encore. Ils n’ont pas le choix, les pauvres.
Il faut comprendre qu’un ministre n’est ni un paysan, ni un ouvrier.
Il a des responsabilités. En outre, il a une famille à entretenir
et des parents, amis et « griots » qui fondent leurs espoirs sur
lui. D’aucuns seraient tentés de répondre qu’eux
aussi ont des responsabilités et des familles, mais, comme disait Georges
Orwell, « tous les porcs sont égaux, mais certains porcs sont
plus égaux que d’autres. » Un ministre n’est pas
n’importe qui. Voyons !
C’est quoi, deux millions ? Même pas le double du salaire annuel
d’un ouvrier qui trime comme un âne. L’ouvrier a l’avantage
de pouvoir garder son emploi toute sa vie durant, même s’il ne
gagne que des miettes, alors que le ministre, depuis quatre ans, ne reste
à son poste que le temps de s’asseoir dans son fauteuil. On change
de ministres comme on change de sous-vêtements. Qui est donc à
envier ?
Nous avons connu des ministres qui n’avaient qu’un « salaire
de misère », mais vivaient comme des princes saoudiens, des années
durant. Maintenant, la sagesse dicte une autre tactique. Ouvrons les portes
aux cambrioleurs et nul ne sera jugé pour vol. On ne peut mieux faire
en matière de transparence.
Sénégalaises, Sénégalais, mécontentes et
mécontents, vous ne savez pas la chance que vous avez d’avoir
un sage à la tête de votre pays.
Des gars des partis ne participant pas aux festivités parlent d’une
famine qui menacerait le monde rural dont ils ne font pas même pas partie.
Je leur réponds que quand les paysans auront des salaires, ils auront,
eux aussi, droit à des augmentations. De grâce, membres des partis
de l’opposition, pas de précipitation, chaque chose en son temps
! Les criquets pèlerins peuvent témoigner que le Général
leur livre une guerre sans répit. Que voulez-donc ? Si la famine s’abat
sur le monde rural, seul Dieu sera responsable car tout vient de Lui. Il aurait
pu envoyer ces insectes aux USA ou en Grande Bretagne et non chez nous qui
n’avons pas les moyens de les combattre malgré l’aide bien
timide des « grandes puissances » que nous ne cessons de solliciter,
vu que tendre la main semble être notre meilleur atout.
Cependant, même le mendiant doit nourrir sa famille. Et, charité
bien ordonnée… On en est arrivé à un point où,
si Gorgui donnait une pièce de cent francs à un de ces misérables
talibé qui sillonnent les rues de la capitale, on y verrait des intentions
politiciennes. C’est mal comprendre le vieux sage que de prétendre
qu’il n’agit que dans le but d’être réélu
en 2007. Est-ce que le Sénégal ne mérite pas des ministres
bien payés ? Dans d’autres pays africains, les ministres ont
des salaires décents, pourquoi ne pas faire comme eux, même si
« du man reek bokuma caa ko gën » ? Wade veut aussi augmenter
le salaire des informaticiens, pourquoi ne proteste-t-on pas ? Soyons patients
et tout ira bien. A chacun son tour, on ne peut pas tout faire d’un
coup. Notre guide a beau être savant et visionnaire, il n’a pas
une baguette magique. Patience donc, patience ! 2007 n’est pas loin.
Le roi récompense ceux qui le méritent. Les enseignants qui
n’arrivent pas à payer leurs loyers – mais qui «
recevront » 40% du budget en 2005 -, les infirmiers qui n’arrivent
pas à joindre les deux bouts, en gros, tous les travailleurs doivent
faire en sorte que le président de la République soit «
très fier » d’eux, et ils n’auront plus à
se plaindre. N’est-ce pas simple ?
Les chômeurs, eux, n’ont rien à dire, car pour demander
une augmentation de salaire, il faut d’abord en avoir un. Cela va de
soi. Ils n’ont qu’à lever la main quand on le leur demande,
et attendre leur tour. Peut-être qu’un jour ils seront ministres.
Avec l’alternance, tous les rêves sont permis. Voilà une
liberté qu’on n’avait pas avant…
Si Buur Saalum est réélu, il y a des chances que chaque citoyen
soit ministre, ne serait-ce que pour un mois. Apprenez à devenir ministre
et vous aurez vos deux millions ! Wade ayant le sens de la partialité,
nous serons tous des ministres. A chacun son tour, sachons patienter.
Enfin, pour être un peu plus sérieux, disons que c’est
noble, généreux et même juste de vouloir, du jour au lendemain,
multiplier par six le salaire des ministres, mais le peuple tout entier se
lève pour crier que le moment est mal choisi.
Bathie Ngoye Thiam