(Wal Fadjri, 04 mars 2004)
Notre Idy national, capitaine désormais sans bateau, du moins c’est
l’impression qu’il donne, a fait son bilan qui n’est pas
des plus reluisants. Faisons donc le nôtre qui ne peut, vu sous un certain
angle, que rejoindre le sien.
Le dossier Joola est une incontestable nébuleuse, pour ne pas dire
un échec monumental. Nous le savons tous. Mais il y a des milliers
de « mini-Joola » qui circulent encore au Sénégal.
Commençons par nos routes qui tuent. Un mortel accident de circulation
est devenu une banalité. On en voit si souvent. C’est seulement
quand on y perd un proche qu’on se pose des questions. Pourquoi…
?
Je ne vais pas m’attarder sur les « cars rapides », le «
petit train de banlieue » et les « Ndiaga Ndiaye », car
beaucoup d’encre et de salives se sont déversées là-dessus.
Pourtant le mal continue, les risques étant plus que jamais présents.
Aux autorités de prendre leurs responsabilités et d’agir,
si elles arrivent à percevoir le malaise des gens d’en bas.
Ce qui est très frappant et tout aussi effrayant chez nous, c’est
l’état des routes. Quittez la Nationale 1 et vous regretterez
d’avoir pris votre bagnole. Là où s’arrête
l’asphalte qui parfois couvre à peine trois mètres, vous
avez des « falaises » de plus de vingt centimètres, qui
bousillent votre véhicule au moindre faux-coup de volant. Seulement,
vous n’êtes pas seul sur la route. En face de vous arrive un camion,
plus que surchargé, qui fonce à tombeau ouvert. Le chauffeur
se prend pour le Tout Puissant. Tu es l’œuf, il est la pierre.
Ces camions ont leur centre de gravité si haut qu’une ruade de
cheval les renverserait. Et ils se mettent carrément au milieu de la
route, à vous de vous dé brouiller. Remarque, ils n’ont
pas toujours le choix, les routes étroites dictant leurs lois. Il suffit
qu’ils se mettent un peu trop à droite pour culbuter. La preuve,
on en voit souvent couchés sur nos routes avec leurs chargements. Pourquoi
ne pas prendre les mesures nécessaires ? Vous me répondrez qu’on
attend qu’un de ces camions s’écrase sur des dizaines de
vendeuses au bord de la route, pour dire : « Plus jamais ça !
» D’ici là… Prions le bon Dieu, car « lu am
ndogalu Yalla la. » (Tout ce qui arrive est de la volonté divine.)
C’est sans doute ce que se sont dit les familles des vendeuses de Ndangalma,
fauchées, il y a quelques années de cela, par un car sans freins.
« Dieu est Grand ! » On lit cette phrase sur beaucoup de ces véhicules
à risque. Au moins, on est averti. Si vous n’avez pas cette forme
de foi, ne prenez pas la route. Même les motards qui escortent nos dignitaires
y « perdent leurs nez ».
Et surtout, ne roulez pas la nuit. Les voitures d’en face vous aveuglent
avec leurs phares. Que voulez-vous ? Ils ont besoin d’une bonne vision.
Et surtout faites attention à la voiture devant vous. Elle peut déboîter
à tout moment, sans signal, et quand le clignotant est déclenché,
cela peut durer des heures tout simplement parce qu’on l’oublie.
Le seul signal valable est le klaxon, quand il n’est pas enrhumé.
Sur certaines routes, il n’y a pas de tracés, vous savez, les
lignes blanches qui vous permettent de positionner le bolide qui fonce vers
vous. Et là, des vies sont mises en danger comme si on jouait avec.
Je me demande si c’est dû à une carence de peinture ou
si on fait des économies pour acheter le kérosène de
l’avion présidentiel.
Pour voyager au Sénégal, notez le, il est conseillé de
rédiger d’abord son testament. Dans ce pays, le plus dangereux
des conducteurs est celui qui respecte le code de la route. On n’applaudit
pas dans une réunion de lépreux. Quand le monde est à
l’envers, quiconque est debout, a tort. Sur nos routes, qui klaxonne
le premier a toujours la priorité, retenez-le bien, si vous tenez à
votre vie. Il n’y a pas d’autres lois.
Notre Président, lui, il sait comment voyager et ses voyages vont avancer
le pays. Il est parti en France, en avion et il est revenu avec un bateau,
« dans son sillage ». Qui dit mieux ? Les détracteurs doivent
se taire car, il n’y a pas de secret, il faut voyager, beaucoup voyager,
encore voyager, toujours voyager ! ( Pourvu que nous ayons de bonnes routes
et surtout de la discipline. Reconnaissons cependant que le gouvernement a
fait quelques efforts pour améliorer nos routes, même si elles
sont loin d’être les meilleures du monde.)
Dans le domaine culturel, nous ne sommes hélas pas en tête de
peloton. Chez nous, les gens n’ont plus le temps de lire, plus le temps
d’aller au cinéma ou au théâtre, plus le temps d’aller
aux exposions. « Ils ont d’autres préoccupations. »
On allume la télé et on gobe tout ce qu’on y passe. Voilà
un mini-Joola culturel. Reste que les boîtes de nuit se remplissent
au point qu’on doit les fermer pour des problèmes de sécurité.
Et la prostitution, encouragée entre autres par le tourisme sexuel,
devient monnaie courante, et ce jusque dans les villages les plus reculés.
On dirait que nous ne voulons plus penser, mais seulement nous amuser pour
oublier nos tracas quotidiens. Et puis de toutes les façons les livres
ne se vendent pas et les salles de cinéma disparaissent les unes après
les autres. Quant aux artistes plasticiens, ils sont plus fréquentés,
quand cela leur arrive, par les journalistes que par les amateurs d’arts.
On voit son nom dans les journaux ou son visage sur le petit écran
et le lendemain on se demande comment payer son petit-déjeuner. Qui
dit que Senghor n’est pas mort ?
Au niveau de la santé, c’est encore plus grave. Nous n’allons
prendre qu’un exemple : la cigarette. Vous me direz que je me répète
car j’en avais déjà parlé, mais ce n’est
pas tout le monde qui lit quotidiennement les journaux au Sénégal.
Il s’agit d’un poison légalisé par ceux qui le fabriquent
et nous le vendent. Elle tue environ cinq millions de personnes par an, la
moitié de la population sénégalaise. Les pays producteurs
prennent des mesures et font des campagnes de sensibilisation sans se décider
de l’interdire purement et simplement. Rien que de l’hypocrisie
dont l’Afrique paye un lourd tribut. Si certains de nos journalistes
appellent le yamba « L’herbe qui tue », comment donc doivent-ils
qualifier la cigarette ? Combien de personnes meurent par année à
cause de « l’herbe qui tue » ?
La cigarette, voilà, de toute évidence, la fumette qui tue.
Le monde tout entier le reconnaît. Des millions de morts pour des millions
de dollars. Les vrais dealers et tueurs de surcroît sont les fabricants
de cigarettes. Et nous légalisons la mort qu’ils vendent. Les
« mini Joola » sont légion. De même qu’on fait
des campagnes contre le sida, on doit en faire contre le tabac. Je ne suis
pas Bob Marley ni Peter Tosh, je ne fais pas l’éloge du yamba
que je décrie tout autant. Soyons clair là-dessus, mais dénonçons
l’hypocrisie et arrêtons de nous voiler la face. Si les pays riches
produisait le yamba, il serait aussi légal que le tabac et l’alcool
qui sont de loin plus nocifs. La Hollande, un pays développé
que je connais a résolu ce problème, la conscience tranquille.
On y achète un sachet de yamba de même qu’on achète
un paquet de cigarettes. Quel pays africain aurait osé faire cela ?
Par contre, d’autres pays développés sont en train de
se demander si ce n’est pas un exemple à suivre. Et nous, nous
attendons qu’ils nous disent quelle décision prendre.
Les pays africains doivent se mettre d’accord pour taxer ce produit
mortel, comme le font les pays producteurs, eux-mêmes. Le paquet de
cigarettes qui coûte 3000 francs en France est acheté à
500 francs au Sénégal. En plus, nous avons le luxe de les acheter
à l’unité, 25 francs pour une dose de poison. Et nos Etats
ferment les yeux. Bientôt, les pays producteurs nous vendront des patchs,
des « Sy-Ngom » et des tablettes pour arrêter de fumer,
et nous les achèterons, bien sûr. Comme disait l’autre,
« ils créent les maladies et les remèdes. » Nous
devons payer pour les deux. Pauvres nous ! On nous facilite l’accès
à la maladie et à la mort, mais les médicaments, si on
parle du sida par exemple, sont à la disposition des pays riches qui
ne baissent pas leurs prix pour nous, les plus touchés. Au lieu d’augmenter
sans cesse les prix du riz, du sucre, du pain et autres, augmentons les taxes
sur le tabac et l’alcool. L’argent ainsi récolté
pourrait servir à acheter des médicaments pour nos dispensaires
où, parfois, on ne trouve même pas de coton. Des maladies éradiquées
d’Europe depuis le temps des grands-pères font encore des ravages
chez nous. Voilà un autre mini Joola.
Et que dire de l’énergie solaire qui chez nous ne sert pratiquement
qu’à sécher le linge alors que la SENELEC s’embourbe
? Le développement n’est vraiment pas pour demain, malgré
les discours prometteurs de nos dirigeants.
Pour ce qui est de l’enseignement, un instituteur qui arrive en classe
en se demandant comment payer son loyer a du mal à motiver ses élèves.
Cela va de soi. Nous parlons de la valeur de l’éducation sans
nous atteler à la tâche. Revalorisons d’abord le noble
métier d’enseignant et nos enfants, nos pays par conséquent,
auront un avenir plus radieux.
Venons en maintenant à nos villes. Là, on a le droit de se demander
à quoi servent certaines mairies. A Kaolack, par exemple, les habitants
des quartiers défavorisés où l’obscurité
règne la nuit, disent : « Ils ne changent les ampoules que quand
il y a des élections ou d’autres événements politiques.
» C’est vraiment prendre les citoyens pour des moutons. Mais peut-être
qu’avec le nouveau maire… A Diourbel, ville bien située
pour être la deuxième capitale et où « Madame »
que nous connaissons tous est maire, c’est encore plus lamentable. Là-bas,
la lumière, on ne connaît pas, pour ainsi dire. Faites un tour
la nuit, au centre-ville. Aux abords d’une des routes, vous avez le
poste de police d’un côté et de l’autre, la gendarmerie
et le trésor public. Je vous dis qu’il y fait si sombre que vous
ne voyez même pas vos jambes. Et on nous parle de sécurité
sur la voie publique. Pour qui nous prend-on ? Un malfaiteur poursuivi n’a
qu’à se réfugier dans ces ténèbres. Quand
on n’est même pas capable de changer des ampoules, on ne peut
pas changer un pays. Le « sopi » qui fut un beau rêve, semble,
aujourd’hui, se muer en cauchemar. Hélas ! Toutefois, ne parlons
pas trop vite. La ville ayant bénéficié d’un budget
de 779 millions 268 mille 595 francs Cfa pour cette année, 2004, laissons,
comme on dit, du temps au temps…
Pour que ce texte ne soit pas trop long, nous parlerons des paysans, pêcheurs
et autres, une autre fois. Nos maux sont innombrables, ce qui m’empêche
de trouver les mots, mais notre cher Président voyage assez pour, je
l’espère, les soigner avant la fin de son mandat, peut-être
renouvelable.
Bathie Ngoye Thiam