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« YA BONS BLANCS »


(Juillet 2003)

Suite aux charters (ou vols groupés) de Sarkozy, on a souvent entendu des réactions du style : « Nous devons leur rendre la monnaie. Œil pour œil, dent pour dent. S’ils menottent vingt de nos compatriotes et nous les envoient, nous devons ligoter vingt des leurs et les mettre dans l’avion. » Mais est-ce si simple ? Répondre au coup de patte de l’âne par un coup de pied, c’est devenir tout aussi âne. Nous n’en sommes pas là, Dieu-merci. Que la France assume son ingratitude, nous gardons notre téranga ! Mais téranga ne veut pas dire tout subir sans réagir. Un pays souverain a un minimum de dignité à préserver. Ce n’est pas parce que nous sommes pauvres que les « riches » doivent se permettre, chez nous, ce à quoi ils n’oseraient même pas penser chez eux.
Qui sont nos immigrés ? Nous pensons généralement aux Européens et Américains qui foulent notre sol. Il y a les touristes et les résidents. Pour la plupart, ils n’ont pas besoin de visa pour venir chez nous. C’est bon, paraît-il, pour notre économie.
Nous allons chez eux pour chercher de l’argent, ils viennent ici pour en apporter. Nepad ou pas, nous ne pouvons pas nous passer d’eux. Et nous ne pesons pas lourd à leurs yeux. Le mendiant court à sa perte quand il ferme sa porte au donneur d’aumône. Parler de réciprocité, comme notre Idy national aurait osé le laisser croire, c’est tout simplement se mettre le doigt dans l’œil. La colère du poulet n’inquiète pas le cuisinier.
Walfadjri 25 juin 2003 : « Idrissa Seck avait bien averti Sarkozy : «Dans une date ultérieure», tous les Français en situation irrégulière au Sénégal seront renvoyés dans leur pays d'origine et par... vols groupés charters ! Le ministre français de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a-t-il enfin trouvé quelqu’un, en la personne du Premier ministre sénégalais Idrissa Seck, pour répliquer à sa politique anti-immigration dont l’image la plus illustrative est le rapatriement groupé et périodique d’Africains sans carte de séjour ? Toutes proportions gardées, on peut croire que le Sénégal institue désormais une réciprocité qui rend fier. »
« La réponse du berger à la bergère », "charter contre charter", nous dit-on. Notre Idy, en réalité, n’aurait fait que le jeu de Sarkozy qui n’aura plus qu’à dire : « Vous voyez, le Sénégal aussi fait la même chose. » Qui va trinquer ? Nous, les Sénégalais de l’extérieur et nos familles qui comptent sur nous. Et dire que notre cher Premier ministre, notre Idy national que nous adorons tant, déclarait que les Sénégalais expulsés de France étaient des « ndioublang » à qui il faut appliquer toute la rigueur de la loi ! Sarko ne peut que s’en réjouir. Il parle même « d’une profonde entente entre la France et le Sénégal » sur l’immigration clandestine. On apprend que cette expulsion de ressortissants Français de notre territoire résulte d’un accord que le ministre français de l’Intérieur a « négocié avec le Premier ministre sénégalais. » Pensez-vous que Raffarin négocie avec le Général Niang avant de refouler nos compatriotes ?
Nous savons qu’il y a près de 8.000 Français pas en règle au Sénégal. Et pourtant, avec tout ce tohu-bohu pour soi-disant « rétablir l'honneur et la souveraineté du Sénégal », seuls neuf voyous ont été rapatriés, des repris de prison pour divers délits, allant de la consommation de cannabis au meurtre, en passant par la corruption, l’émission de chèques sans provisions, la pédophilie ou encore attentat à la pudeur. Se moque-t-on de nous ?
Heureusement que notre valeureux Général de l’Intérieur a su relativiser et nous avouer une partie de la réalité : « Il n'y a pas de réciprocité, il ne peut pas en exister entre le Sénégal et la France (...): les Français arrivent au Sénégal sans visa, et les Sénégalais vont en France avec un visa." Il ne s’agirait que de « procédures de simple routine de travail de police. »
Ouvrons ici une parenthèse qui en vaut la peine. Pendant que nos braves gorgolu sont taxés de « ndioublang » par le Prince Idy, on nous dit que ces voyous français sont « en délicatesse » avec la législation du Sénégal. » Pourtant Idy et Sarko disaient que : « Ce rapatriement allait se faire en adoptant la même procédure que celle observée lors de la reconduite à la frontière des ressortissants sénégalais en situation irrégulière en France. » Mais au lieu du «charter» annoncé dans un premier temps à grand renfort de publicité par les autorités sénégalaises, ce fut un vol régulier de la compagnie Air Sénégal. Et il paraît que les expulsés auraient bénéficié d'un «bon repas», voire d'un «petit pastis» avant de prendre les airs. Je pense qu’il ne leur manquait que des billets de première classe, avec champagne et tout. Et une fois arrivés en France, ils ont été tout bonnement lâchés en liberté. Ils n’ont qu’à prendre le prochain avion pour Dakar, sans visa bien entendu. Ça fait très réciproque en effet.
On apprend tout de même que certains des expulsés sont mariés à des Sénégalaises. Et moi qui croyais qu’on n’allait pas séparer les familles ! Je lis dans les journaux qu’un seul expulsé était en situation irrégulière.
Maintenant on s’en prend aux Libyens. Que les autres étrangers se mettent donc sur leurs gardes ! « Le lion rouge a rugi. » Certains Français avertis, eux, « auraient pris la décision de se payer des vacances forcées chez eux en France, en attendant que la situation se calme. »
N’allons tout de même pas jusqu’à généraliser et mettre tous nos Toubabs dans le même charter ( pardon, je voulais dire « sac ».) Il y en a des bons et je vous en cite un exemple, sans pour autant tomber dans le griotisme ou la pub.
Il s’appelle Etienne B. Il est Belge, mais Toubab quand même. Il est chez lui, chez nous, depuis sept ans et s’est marié avec une de nos sœurs. Père de famille, il apprécie notre téranga et joue pleinement son rôle dans notre société. Pourtant, il se dit qu’il n’est pas chez lui et essaie, autant que possible de respecter scrupuleusement nos lois. Il est propriétaire d’un petit hôtel. Il paye toutes les taxes selon les lois, pour éviter la corruption et les dessous de table. Tous les employés sont des Sénégalais de souche, choisis selon leurs compétences. (On n’a pas à embaucher quelqu’un d’incompétent uniquement par lien de parenté ou par copinage.) Pas de clan familiale. Le Wolof, le Sérère, le Diola, etc., y travaillent en harmonie et ne se plaignent pas de leurs salaires. Dominique S., l’un d’eux, disait au début : « Nous venons d’ouvrir et pour l’instant, c’est Etienne qui nous paye de sa poche. » (J’en connais qui auraient dit : « Attendez que la boîte marche et vous recevrez votre dû. ») En dehors de leurs salaires, il leur paye aussi les repas et, quand il fait trop tard, il paye le taxi. Contre l’esprit colonial qui affecte certains, il est même gêné quand ses employés l’appellent « Monsieur » ou le vouvoient.
Pour ce qui est de sa femme sénégalaise, elle ne joue vraiment pas à la patronne. Elle travaille comme tout le monde, même quand elle est enceinte jusqu’aux oreilles. On la surnomme « Bijou » et les employés disent d’elle : « Elle est sans façon, simple. C’est comme une sœur. »
Si je cite cet exemple, c’est parce qu’un garçon qui travaille dans un hôtel à Mbour (Saly), vit l’enfer tout simplement parce qu’il a un boss sénégalais (qui n’est en vérité que le gérant, le propriétaire étant Blanc.) « Ce gérant crée toujours de petits problèmes. Il veut tout le temps, jouer au patron. Il passe son temps à nous donner des ordres insensés. Et souvent le vrai boss nous dit de faire quelque chose et lui, quand il arrive, il nous dit de faire autre chose, et le blâme retombe sur nous…. »
Je crois ainsi comprendre pourquoi nos Lions ont besoin d’un entraîneur étranger. Vous imaginez-vous les Français prendre un Sénégalais pour entraîner leur équipe nationale ? Quand cela se produira, Idy pourra alors parler de réciprocité. Pour l’instant, nous payons un salaire de 13.000.000 de nos francs à Monsieur Guy et nous trouvons cela normal. Même un ministre n’a pas le dixième de ce salaire. (Je pense que je dois opter pour la nationalité française et me faire entraîneur de foot, surtout avec des joueurs presque tout le temps absents.)

Voilà une leçon pour tout Sénégalais qui veut travailler pour faire avancer son pays.
Et Dominique S. de conclure : « Malgré tout, on aimerait bien aller voir ce que les autres vont chercher ailleurs. », ce qui laisse présager que ce n’est pas demain la veille que Sarkozy arrêtera ses charters. Tout jeune Sénégalais rêve d’aller en Occident, même s’il a une bonne situation ici.
Je ne suis membre d’aucun parti politique, mais je trouve que Djibo Leyti Ka qui se targue d’avoir été le premier à dénoncer les fameux accords sénégalo-suisses (J’imagine qu’il veut dire après nous, l’opinion publique), semble bien cerner le problème : « Il faut des négociations pour que les Sénégalais, qui sont en France et qui ne sont pas dépositaires de documents administratifs leur donnant le statut d’émigré en situation régulière, puissent voir leur situation régularisée. Certains ont longtemps vécu en France, y ont travaillé et ont contribué à sa richesse. Ils doivent pouvoir bénéficier de cette régularisation qui doit faire l’objet de négociations entre les gouvernements. Les Sénégalais qui veulent voyager pour travailler hors de leur pays, en France ou ailleurs, parce que les conditions économiques au Sénégal ne sont pas réunies pour obtenir la promotion à laquelle ils ont droit, le gouvernement doit les aider à obtenir les visas de façon régulière…le gouvernement a l’obligation de les assister en créant des systèmes de partenariats avec ces pays d’accueil pour que, une fois sur place, ces gens soient protégés de façon digne. » Le pense-t-il vraiment ou est-ce juste pour nous dire ce que nous voulons entendre parce qu’il serait déjà en campagne électorale ? On ne sait jamais avec les hommes politiques.

Bathie Ngoye Thiam


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