(30 mai 2003)
Si Victor Hugo vivait aujourd’hui, aurait-il trouvé un éditeur
?
Voilà une question qu’il n’est pas aberrant de se poser.
Avant, les éditeurs publiaient des auteurs, maintenant, ils publient
des « noms ». Il semble qu’on ne publie plus un livre parce
qu’il est bien, mais parce que l’« auteur » est connu.
C’est affolant, le nombre d’auteurs talentueux qu’on ne
publie pas ou dont les œuvres passent inaperçues parce que personne
n’en parle. Les éditeurs veulent du vendable. Peu importe la
qualité. Et les médias ne s’intéressent qu’aux
célébrités du show-biz, les politiciens, journalistes
et autres qui « écrivent des livres ».
Madonna, la superstar américaine, veut écrire des livres pour
enfants. A peine a-t-elle pris sa plume, qu’elle a déjà
signé un contrat avec un éditeur. On fait la promotion de ses
livres alors qu’on ne sait même pas ce qu’elle va raconter.
Et on peut croire qu’elle vendra plus que Mariama Ba, Aminata Sow Fall
et Ken Bugul réunies. Reste à savoir si elle écrira elle-même,
ses livres.
La dernière fois, sur Radio France-Inter, dans l’émission
« Sous les étoiles… », une starlette dont je n’ai
hélas pas retenu le nom, était invitée pour la promotion
de « son » livre. On lui demanda si elle se sentait écrivain,
elle répondit : « C’est facile d’être écrivain,
il suffit d’écrire. » Mais ce qu’il y avait d’étrange
est qu’elle ne savait pas de quoi parlait son livre. C’était
si lamentable que le journaliste lui dit, à la fin de l’émission
: « Je vous conseille de lire votre livre. » Pendant ce temps,
des milliers de vrais écrivains cherchent désespérément
une invitation des médias.
Connaissez-vous le « Loft » ? On met des garçons et des
filles dans un lieu clos et on les filme vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
C’est un zoo où les fauves sont des humains. Ça a un succès
fou en Occident. Des millions de téléspectateurs. Du voyeurisme
pur et simple. Rien de plus absurde. Loana, une espèce de pimbêche
blonde qui reconnaît qu’elle n’a pas des liens de parenté
avec Einstein et qu’elle n’a jamais réalisé quelque
chose de sa vie, est devenue célèbre en France grâce à
ce « jeu ». Croyez-moi, elle a publié un livre et on l’invite
à la télé et à la radio pour en parler. Je ne
l’ai pas lu, ce livre, mais ça m’étonnerait que
ce soit du Yourcenar. Et Stevie, un autre jeune qui faisait partie du «
Loft », est tout aussi populaire. Lui aussi a sorti un « livre
» très médiatisé, dans lequel il n’y a que
des photos de lui-même. Il est fréquemment sur les plateaux de
télévision et maintenant il est devenu un « acteur »
de théâtre dont on parle, alors que les vrais comédiens
font la queue pour avoir des seconds rôles. Remarque, un bon nombre
de stars font cinéma : Madonna, Jennifer Lopez, Britney Spears, Eminem,
Johnny et d’autres encore, même notre Isou Lô. Pas besoin
de faire le conservatoire. Il suffit d’être connu. Ça fait
vendre.
Les chanteurs deviennent des acteurs et les acteurs des chanteurs. Qui est
célèbre devient écrivain. La raison pour laquelle on
est célèbre n’a aucune importance. Je dirais même
que les grands criminels font partie des auteurs les mieux vendus. Commettez
d’abominables crimes bien médiatisés puis écrivez
un livre.
Patrick Henry, le détenu le plus médiatisé de France
(Il avait assassiné un enfant), avait l’idée d’écrire
un livre, lors de sa liberté conditionnelle. Un éditeur s’était
engagé à lui verser une avance de 100 000 euros. Malheureusement
le meurtrier que Robert Badinter avait défendu retourna à ce
qu’il sait mieux faire qu’écrire. Le chien retourne à
sa vomissure. On le capture en Espagne avec dix kilos de haschich. Le revoilà
au bagne où il aura assez de temps pour mener sa carrière d’écrivain.
Omar Raddad, le jardinier marocain le plus célèbre au monde,
(Il est accusé d’avoir tuer ses employés), va sortir un
livre dont on parle déjà dans les médias et même
au journal télévisé de TV 5.
Si un proche de Youssou Ndour lit ce texte, qu’il conseille à
notre superstar de se lancer aussi dans l’écriture. Il aura de
fortes chances d’être un des auteurs africains les plus vendus.
Si écrire est trop compliqué, qu’il essaie la peinture.
L’art abstrait. Deux taches sur la toile et un titre à vous turlupiner
la cervelle. Bien des galeries où le peintre inconnu n’est pas
admis, afficheraient fièrement les tableaux du roi du mbalax.
Gilbert Barthélémy Badji, lui, semble avoir tout compris. Il
a fait « préfacé » son recueil de poésie
par Me Wade, le chef de l’État, en personne.
Serigne Khadim Boussou qui fut si médiatisé, aurait dû
écrire un livre avant de nous quitter. C’eut été
sans doute un best-seller qui lui aurait peut-être rapporter deux milliards
de nos francs.
Bathie Ngoye Thiam