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JUSTIFIER L’INJUSTIFIABLE ou CHIRAC, BLAIR ET BUSH

(Wal Fadjri, 24 mars 2003
LE SOLEIL, 1er avril 2003)

Voilà trois visages qui, depuis quelques semaines, font la une des journaux.

Certains Anglais parlent de la lâcheté de la France alors que d’autres gens à travers le monde voient en Chirac un héros. Qu’en est-il au juste ?
Blair, nous le savons, passe de mauvais quarts d’heure. Et il lui faut un bouc émissaire. « C’est à cause de la France. »
« Don’t panic ! » Telle est la nouvelle consigne de l’Etat britannique depuis qu’il a obtenu l’autorisation d’aller massacrer des Irakiens. Cette consigne est destinée à un peuple qu’il y a à peine quelques semaines, le même gouvernement cherchait à terroriser par tous les moyens. Blair, devenant de plus en plus impopulaire, même au sein de son parti, avait carrément sorti des chars de combat pour que le peuple se sente en danger et soutienne toute action censée le protéger. « C'est une alerte qui concerne l'ensemble de Londres. (…)", déclarait sir John Stevens, le chef de Scotland Yard, sur la chaîne de télévision ITV. "Nous ne ferions pas cela si ce n'était pas nécessaire. C'est nécessaire pour la sécurité des Londoniens et des gens qui visitent la capitale. » Et pour maintenir l’inquiétude et la terreur, la radio BBC nous apprenait quelques jours plus tard, comme on pouvait s’y attendre, que la brigade anti-terroriste interrogeait six personnes arrêtées près des aéroports, mais ne pouvait pas en dire plus. Avec le retour des pèlerins de la Mecque, les arrestations de « suspects » se multipliaient à outrance et alimentaient la psychose. Dans certains quartiers de Londres, on se serait cru aux territoires occupés de la Palestine. A chaque coin de rue, des soldats armés jusqu’aux dents.
Utilisez la même méthode au Sénégal et vous verrez que le peuple paniquera et voudra que l’Etat le protége. Comment protéger ? Attaquer l’ennemi. Des suspects, ça se trouve facilement. Même un bébé qu’on arrache des bras de sa mère peut en être un. Il suffit que les médias utilisent le mot « suspect » et le peuple dira : « C’est donc vrai ! » Mais que sont devenus tous ces « suspects » arrêtés à Londres ? Les citoyens des nations dites grandes ont souvent des mémoires de poule. Hélas !
Pourquoi s’inquiéter quand il n’y a rien, et rester calme quand on bombarde autrui ? Parce que quand les armes parlent, le peuple doit se taire. Les politiques prennent vraiment les populations pour des yo-yo.
Souvenons-nous que Chirac avait dit aux militaires français : « Soyez prêts ! » Cela avait provoqué la polémique et les Français, dans une écrasante majorité, s’étaient déclarés hostiles à cette « guerre », qui consisterait à mettre Bombardier et ma fille de six ans dans l’arène, hostiles surtout à l’unilatéralisme américain. La France se veut partenaire et non sujet de l’Amérique. Les Français ne supporteront jamais que leur pays soit vassal des U.S.A. Charles, le seul et vrai gaulliste, l’avait bien démontré. Chirac qui se réclame de lui se devait d’être à la hauteur, c’est-à-dire la fermer et suivre l’opinion publique. Et puis, il y a l’Europe des quinze ou des vingt-deux milles dont il se veut le chantre et qui doit contrebalancer la dictature américaine.
Un prophète de bistrot disait que « la dernière mondiale opposera l’Europe aux U.S.A. » Dieu merci, on en est loin..
Chirac n’a rien d’un héros, il n’a tout simplement pas eu le choix. S’il s’était mis dès le début du côté de Bush, il aurait subi le même sort que Tony Blair.
En Algérie où aucun président français n’a mis les pieds depuis longtemps, il fut pourtant accueilli en héros. Mais le héros est héros parce que les circonstances l’y ont forcé. Qu’on ne s’y trompe pas ! Ce n’est pas par amour pour le peuple irakien, encore moins pour Saddam et sa famille.

Et puis, il y a aussi les intérêts car les grandes puissances ne pensent qu’en ces termes. Il n’y a pas que Bush que le pétrole irakien intéresse. Français, Russes, Chinois, et je crois Allemands aussi, verraient d’un mauvais œil que les U.S.A. s’emparent du deuxième producteur mondial et se créent en même temps une place stratégique dans cette région.
Mais Bush, le roi du monde, le président qui s’en fout tellement du reste du monde qu’il ne savait même pas si l’Espagne, son alliée pourtant dans cette tuerie ignoble, était une république ou une royauté, risque de fermer le robinet irakien à la France. Il faut donc trouver une solution. Les armes bactériologiques et chimiques constituent une issue de secours. La France dit que si l’Irak les utilise, elle se rangera du côté de l'attaquant. (Signalons que lors de la « guerre du Golf », l’Irak avait de toute évidence ces armes-là, mais ne s’en était pas servi. Cette fois, il le « fera » pour sortir la France de l’impasse et donner raison à Bush. Si l’Irak dont les inspecteurs en désarmement de l’O.N.U., espions malgré eux de Washington, ont détruit une bonne partie de l’armement, a encore des armes dites non conventionnelles, il est bien probable qu’il s’en serve pour se défendre ou Bush les lui « fournira » pour se justifier aux yeux du monde.)
Les agresseurs que les journalistes occidentaux appellent à tort les « alliés » ou les « forces de la coalition » pensent déjà à la reconstruction de l’Irak et Bush a choisi cinq compagnies américaines pour s’en occuper. L’une d’elles fut présidée pendant longtemps par un de ses plus proches collaborateurs. Business toujours et avant toute chose. L’O.N.U et le reste du monde n’ont rien à décider.
« Nous devons attaquer l’Irak avant qu’il n’attaque l’Amérique », voilà l’argument de Bush et sa bande. Mais le monde tout entier sait que l’Irak ne représente aucun danger pour le monde et n’est même pas capable de supporter une guerre contre Israël.
Dire à Saddam (et ses fils) de s’exiler ou de déclarer à la télé, et en arabe, qu’il est un menteur (pour résumer la proposition de Blair), montre bien que le but n’est pas de désarmer l’Irak, mais de renverser un régime pour mettre des marionnettes en place. D’ailleurs, même si l’exile a lieu les « forces de la mort » marcheront quand même sur Bagdad, pour « détruire les armes de destruction massive » qu’ils doivent trouver et « trouveront » coûte que coûte. Rien ne les empêchera de les amener dans des emballages, avec des textes en arabe écrits dessus. Et il suffira d’en faire exploser quelques unes pour que la France et d’autres pays se rallient aux bombardements et le tour sera joué, le gâteau partagé.
Guerre-éclair, disent-ils. Une guerre contre la Russie ou la France, par exemple, ne serait pas éclaire parce que ces pays ont, comme l’Amérique de Bush, des armes de destruction massive et pourraient menacer le monde comme Bush le fait actuellement. Si l’Irak était une telle menace on n’aurait pas parlé de guerre éclaire.
Ce dont on ne parle pas et qui pourtant devrait interpeller tout un chacun est qu’on apprend de source américaine, que Ben Laden, auteur présumé des attentats du 11 septembre, « se trouve » quelque part en Afghanistan, près de la frontière avec le Pakistan. Pourquoi Bush n’y a-t-il pas envoyé ses 250.000 hommes plus les 45.000 de Blair qui assiègent l’Irak actuellement ? Cela serait plus compréhensible pour la communauté internationale. Et ils auraient trouvé la poignée d’hommes qu’ils recherchent.
A mon avis, et je crois que le temps me donnera raison, Ben Laden est, soit mort, soit au camp de Guantanomo. Je suis cependant plus enclin à penser qu’il est vivant et que Bush nous le sortira pour soutenir sa prochaine campagne électorale. Toute l’Amérique sera alors en liesse et les pays « démocratiques » du monde tout entier le féliciteront. Le génocide en Irak ne sera alors plus qu’un détail de l’histoire.
On se souvient qu’il y a quelques mois de cela, des « terroristes » devaient être jugés en Allemagne. Un de leur complice se trouvant à Guantanomo, l’Allemagne avait demandé son extradition, et l’administration-Bush s’y était catégoriquement opposée. Pourquoi ? Allez donc savoir. N’est-ce pas Bush qui demande une coalition pour combattre le terrorisme international ? Tout laisse à croire que le premier homme qui sortira vivant de ce « camp de concentration », sur lequel la communauté dite internationale ferme les yeux, fera de fracassantes révélations.
Par ailleurs, Colin Powell a révélé, pour essayer de justifier l’injustifiable, qu’ils ont le soutien de quarante-cinq pays, mais quinze d’entre eux veulent garder l’anonymat. Etrange, n’est-ce pas ? Quels sont ces pays ? Est-ce qu’il s’agit de pays qui ont peur de l’opinion publique ou de pays qui ont joué double jeu ? Dire qu’ils sont contre et, en coulisses, apporter leur soutien aux agresseurs. On aimerait savoir ce que Wade et Bush se disent au téléphone. …Boum !!!! Trop tard ! Les bombes tombent déjà, mais ce sera une « guerre propre »…

Bathie Ngoye Thiam.


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