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JOURNALISTES OU GRIOTS DU ROI.

(LE SOLEIL, 13 novembre 2002)

Je commence par dire que je ne suis pas savant. C’est un fait. Mais comme tous ceux de mon rang, je me fie aux médias pour m’informer. Les journalistes sont les prophètes des gens comme moi « qui voudraient avoir air, mais qui n’ont pas l’air du tout » de pouvoir interpréter les informations. Ne me dîtes pas que je suis un con, je sais que je le suis. Je sais aussi que les journalistes ne sont pas des historiens, mais selon le vocabulaire utilisé, l’information prend parfois d’étranges tournures. Attendez, j’y arrive. J’ai un peu de mal à mettre de l’ordre dans mes raisonnements, vu l’overdose d’informations que nous recevons. Je ne suis pas de ceux qui disent que la presse n’est pas libre. Mais certaines presses sont plus libres que d’autres.
En effet, si j’écris ce texte qui semble n’avoir ni queue ni tête, c’est que je me demande quel est le rôle de la presse.
Je croyais que la presse était là pour nous informer, nous dire la vérité. Ou alors, comme je l’ai dit plus haut, c’est à cause de mon ignorance que je n’arrive pas à percevoir la Vérité qui se cache derrière les informations.
Tenez, ce sont justement les récents évènements à Moscou qui m’ont jeté du piment aux yeux. Les journalistes, surtout occidentaux, nous parlent de cette « guerre » oubliée qui durent depuis quelques années. Moi, dans mon ignorance, je croyais qu’une guerre était une tuerie entre deux armées de forces plus ou moins égales. J’apprends de nos jours que quand des armées te bombardent et que tu réagisses en crachant dans leur direction, c’est une guerre. Du moins, c’est ainsi que cela risque d’être relaté par certains journalistes. Ils nous parlent de « génocide » au Rouanda, mais de « guerre » en Tchétchénie. Quand des chars de combat israéliens tirent sur des enfants palestiniens jetant des pierres, ils parlent « d’affrontements ». Un soldat blessé et dix enfants abattus, ils disent : « Suite aux violents affrontements, il y a eu dix morts et un blessé… » C’est rare qu’ils nous disent qui sont vraiment les victimes… Ils nous parlent d’ « occupation » et de « colonies », mais ces mots, dans la presse la plus répandue, n’ont rien de péjoratif ou de reprochable. Quand les colons et occupants tuent, ce sont juste des « représailles » ou des « ripostes. » Et quand les occupés qui n’ont d’autres moyens de tuer qu’en mourant, ils nous parlent d’« attentats suicides ».
La liberté de la presse semble se muer en manipulation de l’information.
« Qui n’est pas avec nous est contre nous ! » Le roi du monde a parlé.
Et alors, que fait la presse ? Elle suit le roi. Nous avons encore tous en mémoire les événements du 11 septembre 2001. Les journalistes, pourtant très critiques et très scrupuleux de vérifier les sources de leurs informations, nous avaient quand même révélé des preuves pour le moins discutables. J’en cite quelques unes.
On avait retrouvé dans les « Tours jumelles », le passeport d’un des « pirates ». J’ai dit que je suis con, mais je n’arrive pas encore à comprendre comment on pouvait trouver un passeport, fait de papier combustible dans ce brasier où des milliers de corps ont disparu sans laisser de traces. Et penser que le passeport était dans l’avion d’où partit l’incendie. Ils sont vraiment forts, les agents du FBI. Et plus forts encore, les journalistes qui nous ont fait gober cette information. Dans la même lancée, ils nous apprennent qu’une voiture louée par les kamikazes était trouvée et, dedans, il y avait des cours de pilotage en arabe et un livre, le Coran. C’était donc clair qu’il s’agissait d’ « intégristes musulmans ».
Les journalistes ne relatent plus les faits, ils les créent et fournissent les preuves. Je me suis demandé, avec mon cerveau escamoté, « Comment est-ce possible ? » Les mêmes journalistes nous ont « révélé » que les kamikazes avaient préparé leur coup depuis des mois et des mois et avaient bien assimilé leurs cours d’aviation (la précision en témoigne). Pourquoi donc auraient-ils besoin de réviser leurs cours théoriques quelques minutes avant d’entrer en action. Et laisser ces cours en arabe devant l’aéroport ? Et quant à ce Coran trouvé dans la voiture, je n’ai pas beaucoup de matière grise mais je me suis demandé comment des intégristes qui savent qu’ils vont « mourir pour Allah » dans quelques minutes peuvent oublier ou laisser leur Coran dans une voiture de location. A mon humble avis, ils devraient le prendre avec eux et mourir avec. C’est comme si on nous disait qu’un soldat partit en guerre sans arme. Et puis, les journalistes nous apprennent que les kamikazes, « intégristes musulmans » ont été vus la vielle dans un bar où ils avaient tellement bu qu’ils se chamaillaient entre eux.
Dans mon manque de savoir, je pensais que des intégristes musulmans qui allaient se sacrifier pour avoir « soixante-dix vierges au paradis », auraient autre chose à faire que d’aller se saouler la gueule. Je ne savais vraiment pas qu’un musulman dit intégriste doit s’enivrer d’alcool la veille de sa mort. Mais grâce aux journalistes nous apprenons d’autres réalités.
« La raison du plus fort est toujours la meilleur. » On prenait cela pour une fable, mais c’est, il me semble, une réalité. Avant, les rois avaient des griots, maintenant les hommes d’État ont des journalistes.
J’en profite pour dire à Laurent Gbagbo que s’il veut s’en sortir, avec le soutien de toute la communauté internationale sous le joug du roi Bush, il doit ordonner aux journalistes d’utiliser les mots « terroristes » et « intégristes musulmans » au lieu de « mutins » ou « rebelles ». C’est ainsi que la Russie (État) voit la Tchéchénie, Israël la Palestine, Les U.S.A. « l’axe du mal », etc. Avant, on disait : « Qui veut noyer son chien dit qu’il a la rage. » Maintenant, la rage, c’est le terrorisme.
Mandela, De Gaule, Che Guevera, Mahatma Gandhi, tous ces gens ne furent que des « terroristes », mais les journalistes ignoraient l’importance de ce mot ou n’avaient pas prédit le 11 septembre 2001.
Qui parle encore du Tibet ? Excusez-moi, c’est une autre guerre oubliée. Mais il me semble, dans mes éphémères prises de conscience, que ce serait comme si un pays voisin envahissait Touba et nomme un certain Diéry Fall de Bambey khalife général des mourides, bon gré mal gré. Si la presse se range du côté du plus fort, elle trouvera les moyens de prouver que Diéry Fall est le khalife légitime des mourides. Le président chinois, lui, vient de faire un pèlerinage aux U.S.A. et peut désormais s’occuper tranquillement des « terroristes » et « intégristes » tibétains.
Parfois je me demande si certains journalistes ne sont pas plus cons que moi…

Bathie Ngoye Thiam


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